- Tiens, toi qui es toujours con, tu nous racontes une histoire ?
- Ça tombe bien, j'en connais une nouvelle.
- Oh ben même une qu'on connaît déjà, de toute façon je me rappelle jamais la fin. Tiens, celle de la pute qui rote dans un ascenseur, je me souviens jamais de la fin !
- Ben justement, c'est ça la fin : elle rote.
- Ah ouais, ben je me rappelle jamais si c'est de la fin ou du début que j'me souviens plus. Du coup tu peux la raconter.
- Ouais mais là non, vu que je viens de te rappeler la chute. Tu vas forcément la connaître...
- Alors raconte que le début !
- Non, je vais te raconter une nouvelle que je connais.
- C'est avec une pute ?
- Non, mais elle est drôle quand même.
- Dommage, j'aime bien les histoires de putes dans un ascenseur. Bon allez, vas-y quand même, on t'écoute.
- Alors voilà, c'est l'histoire d'un mec qui rentre dans un café. Plouf !
- Ça commence bien !
- C'est fini.
- Quoi, comme ça ?
- Ben ouais. C'est l'histoire d'un mec qui rentre dans un café... Plouf !
- Il est inondé, ton café ?
- Mais non, mais un café ! Un café, quoi !!
- Ouais j'ai compris. Mais elle serait plus marrante si il rentrait dans une piscine.
- Enfin ça n'a rien à voir ! Là je te dis que c'est l'histoire d'un mec qui rentre dans un café, alors toi tu t'attends à un mec qui rentre dans un bistrot. Sauf que comme je dis "plouf !", tu comprends qu'en fait c'est un mec qui rentre dans un café. Mais maintenant que j'ai expliqué, c'est moins drôle.
- Mouais, difficilement... C'était déjà pas très drôle avant, hein.
- Mais si ! Ça l'est quand on la pige du premier coup.
- Ben t'avais qu'à dire qu'il rentrait dans un bistrot, et plouf ! Là j'aurais compris du premier coup.
- Mais ça n'aurait pas été drôle.
- Forcément que si, ça l'aurait été. Hein les gars ?
- Oh tu sais, moi, à part les histoires de putes...
- Moi j'ai pas entendu le début.
- Ben le début c'est qu'il rentre dans un bistrot inondé.
- Pas un bistrot inondé, bordel ! Un café !
- Ça marche. Un café toi aussi ?
- Mais non, je ne commande pas ! Tu vas pas t'y mettre aussi ! Ou alors une suze...
- Moi j'ai entendu le début mais je l'ai pas compris.
- Ben le début c'est que c'est un mec qui rentre dans un café.
- Alors c'est la fin que j'ai pas comprise.
- La fin c'est "Plouf !".
- Alors c'est le début que j'ai pas entendu.
- Bon. Je dis que c'est l'histoire d'un gars qui rentre dans un café. Vous vous attendez à l'histoire d'un type qui rentre dans un café, forcément !
- Forcément, puisque t'as dit que c'est l'histoire d'un gars qui rentre dans un café. On s'attend pas à ce qu'il sorte du cinéma.
- Voilà ! Sauf que au lieu de ça, le "Plouf !" fait comprendre qu'il rentre dans une tasse de café.
- ...
- ...
- Dans une tasse de café ? En gros, tu nous prends pour des cons ?
- Mais non, c'est la blague !
- C'est ça, c'est la blague qui nous prend pour des cons... Un mec qui rentre dans une tasse de café, ça existe pas ! Même un délinquant !
- Mais c'est de l'absurde !
- Ouais ben c'est de l'absurde qu'est farfelu, alors ! Parce que même en enlevant ses chaussures et la cuillère, ton gars il rentre pas. Ou alors il trempe juste un doigt. Mais dans ce cas faut être plus précis, faut dire "c'est l'histoire d'un gars qui rentre un doigt dans un café". Et là on comprend.
Et même, allez je vais te faire plaisir, en admettant que ce soit une tasse géante, ben le mec il sait que c'est chaud le café, alors il va rentrer progressivement et ça fera pas plouf comme t'essaies de nous faire gober.
- Ou alors sauf si on l'a poussé ?
- ...
- ...
- Dis donc, Bite-à-genoux, y'a un moment donné où faut choisir si t'es du côté de la raison ou du côté de la sagesse. Non parce que si toi ça te fait marrer les histoires de mecs qu'on pousse dans une tasse de café, ben tu t'associes avec le comique et vous montez un numéro. Mais faudra pas compter sur moi au moment de se marrer !
- Moi, même bourré, j'ai jamais vu un mec, même bourré, rentrer dans une tasse de café. Pourtant j'ai déjà vu des mecs rentrer dans le bistrot en mobylette, j'ai vu des mecs rentrer par derrière et sortir par erreur. J'ai vu plus de mecs y rentrer quand c'est fermé qu'en sortir quand c'est ouvert. J'ai vu des mecs rentrer à plat ventre et sortir sans toucher le sol. J'ai vu des mecs plonger dans l'alcool, d'autres y noyer leur chagrin. Mais des mecs rentrer dans une tasse de café, même pour faire marrer les potes, même dans du déca, même quand j'étais pas là, jamais ! Et pourtant, y'en a qu'avaient de l'élan, crois-moi ! Que je sois réincarné en cul de babouin si j'mens la vérité ! Alors je conteste pas, moi-même j'ai déjà foutu les pieds dans l'plat à l'occasion, mais dans une tasse, jamais je me serais permis ! Je le jure sur la tête de la bible !
- Ouais mais toi tu prends pas les gens pour des cons ! Enfin si, quand tu dis que t'as de quoi payer ta tournée, hein mon salaud ! Mais là c'est pas ton procès qu'on accuse, c'est celui des gens qui prennent les copains pour des cons.
- Mais arrêtez, c'est pas parce que vous n'avez rien compris que je vous prends pour des cons.
- Pourtant tu nous as bien dit que le mec rentrait dans une tasse de café. Vrai ou pas vrai ?
- Je l'ai pas dit comme ça...
- Alors ça c'est plus fort que de jouer au bouchon avec des pépitos dans la neige ! Tu dis qu'il rentre une tasse de café et tu dis qu'tu l'as pas dit ? Dis donc, la prochaine fois que tu veux pas le dire, ben dis le pas, on gagnera un voyage.
- Je laisse tomber...
- Ben j'y compte ! Manquerait plus que t'insistes !
Allez, c'est pas grave, ça peut t'arriver à tout le monde de pas être drôle. Tiens, pour te faire pardonner, mets la tienne et raconte nous voir l'histoire de la pute qui rote dans l'ascenseur !
- Bon... Ok... Alors c'est l'histoire d'une pute qui prend l'ascenseur...
- Voilà. Ça, ça commence bien !
(illustration de l'inégalable Manu Larcenet)