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Qui Ça?

  • : Stipe se laisse pousser le blog
  • : Je m'étais juré sur la tête du premier venu que jamais, ô grand jamais je n'aurais mon propre blog. Dont acte. Bonne lecture et n'hésitez pas à me laisser des commentaires dithyrambiques ou sinon je tue un petit animal mignon.
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La cour des innocents

La Cour des Innocents - couv - vignette

Dates à venir

- samedi 2 août, en dédicace à la Librairie Montaigne (Bergerac) de 10h à 12h

- samedi 30 août, en dédicace à la Librairie du Hérisson (Egreville)

- dimanche 9 novembre, en dédicace au Grand Angle dans le cadre du salon Livres à Vous de Voiron.

13 août 2013 2 13 /08 /août /2013 10:17

 

Encore un ancien texte, écrit pour un concours sur le thème "Jeunesse".

 

 

 

 

 

Ça a commencé comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. J'avais souvent vu faire, mais toujours j'avais fermé ma gueule. Ou alors pour donner dans le faux témoignage, pour balancer des noms, pas les bons. Ça leur a plu, aux deux autres compères, ils m'ont tout de suite trouvé des airs d'accointance. Ils cherchaient un troisième larron, un type sûr, avec lequel perpétrer toutes leurs conneries. L'union fait la farce, en quelque sorte. Et en la matière, on peut dire qu'on a perpétré.
On s'est jamais fait pincer. Y'a souvent eu anguille sous roche, surtout avec les vendeurs à la criée qui nous servent de colocataires, mais on a toujours réussi à passer entre les mailles du filet. Jusqu'à cette fois là…

Quand Marco s'est glissé dans ma chambre, j'étais sous ma couette en train de me tripoter sur un bouquin de fesses, à la lueur de ma lampe-torche. Le halo palissait les visages et les corps, déformait les contours, suggérait d'autres abattis. Il fallait faire un bel effort d'imagination pour y trouver de l'érotisme, mais la teneur de l'excitation résidait plus dans l'interdit de la manœuvre que dans l'esthétique des corps. Marco a dû gauler mes mouvements frénétiques, car il s'est marré quand j'ai émergé de ma planque, les cheveux en bataille et l'œil brillant. J'allais avoir du mal à lui faire croire que je feuilletais un album de timbres.
"Ben alors, sale pervers !", il m'a lancé, bravache. Je lui ai fait un signe de tête en direction du gros Jojo qui pionçait dans le lit voisin. Jojo, c'est un sale fayot, Balance ascendant Vipère, c'est la taupe à la solde des chefs de l'établissement. On a pourtant souvent essayé de lui faire passer le goût de la collaboration - en le tabassant dans les douches à coups de serviettes mouillées sur les reins, par exemple - mais rien n'y fait, faut toujours qu'il ramène sa fraise sur les activités plus ou moins licites de ses camarades. Armand a promis qu'un jour on le crèverait, et connaissant Armand, il se pourrait bien que ce ne soit pas seulement des paroles en l'air. A sa décharge, il a de sérieuses raisons d'en vouloir à l'intégrité physique du gros Jojo : il a été puni à plusieurs reprises par le dirlo, après avoir été dénoncé pour fumette dans sa chambre ou lâcher de boulettes puantes au réfectoire. A chaque fois, de solides éléments accusaient Jojo d'être à l'origine des fuites; sa mine réjouie du bon gros con qui vient de signaler son voisin juif laissant rarement la place au doute. Ce n'était donc plus une dent qu'Armand avait contre lui, mais tout un râtelier.

Marco m'a balancé mes fringues et m'a fait signe de le rejoindre dans le couloir. Juste avant de sortir de la chambre, il a raclé tout ce qu'il avait dans le nez et la gorge, et a balancé un gros glaviot sur les couvertures de mon coloc. La nuit s'annonçait sous les meilleurs auspices.
Dans le couloir, j'ai rejoint Marco et Armand, qui était resté à faire le guet. "La voie est libre, le gardien est devant Columbo", il nous a annoncé. Comme des chats noirs, on a glissé nos ombres le long des murs. En passant devant la loge éteinte du gardien, que seuls quelques flashs cathodiques illuminaient par intermittence, on a perçu les ronflements de celui-ci, à peine recouverts par la voix faussement nigaude de l'inspecteur en imper. C'était déconcertant de facilité de se faire la belle de ce bâtiment, même avec Columbo dans les parages.

Arrivés à l'extérieur, on s'est précipités vers le fond du parc, à la lisière de la forêt. De derrière un bosquet, Armand a mis au jour trois packs de bières. On a liquidé le premier assez rapidement, histoire de se mettre en jambes. Puis on a aligné les cannettes, on a reculé d'un mètre, et on  a pissé dedans. Mais surtout à côté. On commençait à se marrer bêtement, et c'était plutôt bon signe.
Quand on fait le mur, comme ça, on n'a jamais vraiment d'idées précises du programme qui nous attend. Et chaque fois, on finit par errer dans les rues du village, à la recherche de la connerie à faire. On ravage des parterres de fleurs, on renverse les poubelles, on retourne les rétros des bagnoles, on sonne chez les gens et on se barre. Une fois, on a même failli se faire choper. Le propriétaire de la maison venait sûrement de se lever pour pisser, parce que la lumière s'est allumée aussitôt qu'on a pressé la sonnette. On n'a pas vraiment eu le temps de détaler, alors on est allés s'asseoir sagement sur le banc, de l'autre côté de la rue. Le type a surgi de la maison, furax. On a pointé le doigt vers le bout de la rue, et comme on présente plutôt bien, il a suivi nos indications sans sourciller, et s'est mis à courir, en slip, après le spectre d'un fuyard. Qu'est-ce qu'on a pu se marrer.
En général, c'est Marco qui propose un plan. C'est un peu le chef de la bande, il a une autorité naturelle, une âme de leader. Jamais directif, mais toujours ingénieux quand il s'agit d'inventer de nouvelles conneries à faire. Ce soir là, il a proposé d'aller se faire l'échoppe du Père Poissard. C'est l'épicier du coin, il doit avoir dans les 130 ans, et il est plus sénile que Giscard sous Prozac. Et surtout, il est sourd comme un pot fêlé. Le jeu de tout le monde, dans le bled, c'est de pénétrer dans son épicerie en faisant un grand pas sur le côté, pour ne pas marcher sur le paillasson sous lequel est caché le dispositif qui déclenche la sonnette. Du coup il ne nous entend pas entrer, il reste dans sa cuisine dont la porte ouverte donne sur le magasin. Et pendant qu'il s'abrutit devant TF1, on peut tranquillement lui piller ses stocks. On se remplit les poches de sucreries, de bières, de magazines, et on ressort en prenant bien soin de piétiner le tapis. Alors il se radine la gueule enfarinée, en braillant "Voilà voilà, j'arrive !" ; nous on est déjà bien loin. Il se retrouve tout seul dans son magasin, comme un con, à chercher partout son client. Dans le domaine de la franche poilade, on n'a rien inventé de plus efficace.

On s'est donc dirigés vers son épicerie en vidant nos bouteilles. Arrivés à destination, Armand nous a fait signe de patienter. Il est allé s'accroupir devant la boutique, s'est défroqué, et a chié sur le seuil de la porte. Avec Marco, on se tenait les côtes. On avait rarement fait aussi potache dans la connerie. Puis on a balancé nos cannettes dans la vitrine. Les carreaux devaient être aussi anciens que le propriétaire, à mon avis ils ne tenaient debout que par la couche de crasse qui les recouvrait. Ça  a pété comme un jour d'ouverture de la chasse.
A coups de tatanes, on a viré les morceaux de verre qui dépassaient, et on s'est engouffrés dans le magasin. On s'est chargés de bouteilles et de bouquins de cul, et on a détalé sous les hurlements des chiens du quartier. Y'avait intérêt à pas trop traîner, les autochtones ont tendance à sortit le fusil pour tirer à vue dès lors qu'ils se sentent avertis d'un danger par les aboiements de leurs clébards.

On a viré encore quelque temps dans les rues, histoire de prendre la température de la nuit, puis quand on n'a eu plus rien à boire ou à balancer, on a refait le mur dans l'autre sens. On s'est installés sur un banc, dans le parc, et Marco a fait tourner un joint. C'est un des surveillants, converti à la médication par les plantes, qui le fournit. Et là, c'était pas de l'herbe de tonte, qu'il nous a sortie. Du premier choix, ça nous a mis la tête dans tous les sens et le sourire niais sur toute la tronche. Armand a entrepris de nous mimer le Père Poissard réveillé en pleine nuit, qui débarque en pyjama dans son épicerie en braillant "Voilà voilà, j'arrive !", puis qui va se coller les pantoufles dans le cadeau laissé sur le pas de sa porte. Avec Marco, on se serait fait dessus, si on avait encore eu quelque chose à pisser.
Quand on a de nouveau été en état de marcher, on s'est levés et on a réintégré les piaules. C'est là que ça a commencé à merder…

En arrivant dans ma chambre, j'ai trouvé le gros Jojo assis dans son lit. Il était en train d'étudier le glaviot sur sa couette, et il tirait la tronche du mec qui apprécie moyen. En me voyant rentrer en douce, en pleine nuit, il a vite fait le rapprochement. Alors il s'est mis à poser des questions, à parler fort, à bafouiller des conneries. Ça a alerté mes deux potes, qui ont rappliqué dans la chambre et lui ont demandé de fermer son clapet. C'est l'effet inverse qui s'est produit, Jojo a commencé à grouiner comme un cochon qu'on vide de ses tripes. Armand n'a pas cherché à négocier plus longtemps : il s'est saisi de mon oreiller et l'a appliqué sur le visage du porcinet. Il a appuyé jusqu'à ce qu'on ne l'entende plus et qu'il se soit arrêté de gigoter. Marco a tâté son poignet, et d'un hochement de tête il a confirmé notre pressentiment.
Alors on a tous les trois regagné nos lits. On a eu du mal à trouver le sommeil, faut dire qu'on venait de dessouler d'un seul coup.

Le lendemain, il y a eu un peu d'agitation, comme toujours quand on en retrouve un de clamsé. On est pourtant habitués au passage de la Faucheuse. Mais en général, quand elle vient visiter l'un de nous, elle prend soin de s'essuyer les pieds avant d'entrer dans la chambre. Là, les traces de godillots partout autour du lit du macchabée, ça a forcément éveillé la suspicion. Autant que les cannettes qu'on a retrouvées dans le parc, et que les flics ont vite rapprochées de celles découvertes au milieu des débris de verre de la boutique du Père Poissard.
Donc oui, tout ça a causé un peu d'effervescence dans l'établissement, encore plus que les jours de visites des familles.

Juste après le repas, vers 17h30, on était en salle télé devant Questions pour un Champion, quand la surveillante principale est venue nous annoncer qu'on était convoqués, mes deux potes et moi, dans le bureau du dirlo. On n'avait jamais rien dit, mais nos passifs semblaient avoir parlé pour nous.
Les flics étaient là, le dirlo nous a expliqué qu'il avait prévenu nos enfants et qu'on allait être emmenés au poste. J'ai jeté un œil à mes potes, plus que jamais mes complices. Ils en menaient pas large, ça se voyait dans leurs larmes.
Je crois que depuis le temps que je les connais, je les avais jamais vues pleurer, mes deux vieilles carnes.

 

 

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commentaires

S
J'ai quand même du mal ! Mais c'est du sport :)
Répondre
S
<br /> <br /> tu avais perdu l'entrainement, c'est pour ça ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
S
Heu... Attends, prévenir "nos enfants" ? Ça colle pas, non ? Même si ... Tu nous mènes en bateau ??
Répondre
S
<br /> <br /> même si, en effet.<br /> <br /> <br /> <br />