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Qui Ça?

  • : Stipe se laisse pousser le blog
  • : Je m'étais juré sur la tête du premier venu que jamais, ô grand jamais je n'aurais mon propre blog. Dont acte. Bonne lecture et n'hésitez pas à me laisser des commentaires dithyrambiques ou sinon je tue un petit animal mignon.
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La cour des innocents

La Cour des Innocents - couv - vignette

Dates à venir

- samedi 2 août, en dédicace à la Librairie Montaigne (Bergerac) de 10h à 12h

- samedi 30 août, en dédicace à la Librairie du Hérisson (Egreville)

- dimanche 9 novembre, en dédicace au Grand Angle dans le cadre du salon Livres à Vous de Voiron.

31 octobre 2009 6 31 /10 /octobre /2009 08:00
(ça c'était juste avant, et ça c'était tout au début)


- Un jour ils ont engagé un homme fort, un Hercule. D'ailleurs ils l'ont rebaptisé Hercule parce que c'était une tradition. Ce mec là tordait de l'acier, se sortait des chaînes dans lesquelles on le saucissonnait et soulevait des voitures si on le lui demandait. Il s'est vite opposé à Polly, c'était le seul à ne pas avoir peur d'elle. Le plus gros du monde lui a raconté pour le gosse et les hormones alors il s'est mis à vraiment la détester et à bien m'aimer moi. Mais c'était par sentiment en vrai, pas par pitié ou par connerie. Du coup la Polly s'en prenait à moi et c'était logique. Elle se montrait méchante, immonde, et moi je subissais connement puisque je faisais tout connement depuis des années. Jusqu'à cette fois...
On y arrive. Cette fois.
- Elle m'a dit un truc. Un truc que j'avais lu souvent sur le visage des badauds, que j'avais deviné quand ils me regardaient et surtout quand ils ne me regardaient pas. "Tu m'dégoûtes", elle m'a dit. Je me suis alors rendu compte que toute ma vie j'ai attendu de ne pas entendre ça. Je lui ai sauté dessus, par réflexe. Et j'ai commencé à la tabasser, lui tirer les cheveux, l'insulter. Hercule est intervenu, il m'a arrachée à elle et s'est mis à lui écrabouiller le visage entre ses mains. Puis le bouffeur de ferraille est arrivé aussi et il a commencé à la bouffer vivante, enfin je pense, vu comme y'en avait partout et comme elle braillait comme un poney qu'on égorge. C'était dégueulasse, fallait voir ça...
Non merci.
- Ses cris ont ameuté tout le monde, tu penses bien. Hercule m'a gueulé de me barrer et j'ai fait la seule chose que je savais bien faire depuis des années : j'ai pas réfléchi. Et je me suis barrée en courant. J'ai croisé les forains qui commençaient à accourir avec des fusils et des barres de fer. J'ai entendu les premiers coups de feu et des cris encore plus horribles alors je ne me suis pas retournée et j'ai couru encore plus vite et encore plus sans réfléchir. J'ai passé des barbelés et suis allée me cacher dans une étable, avec des vaches. J'ai attendu que les paysans partent aux champs le lendemain pour aller visiter un peu leur maison. J'ai pris seulement de quoi assurer ma fuite, j'étais pas là pour voler. Des vêtements, de quoi bouffer un peu et quelques billets dans la huche à pain vu que c'est toujours là qu'on range les affaires. Et puis j'ai aussi pris un rasoir, pour ne plus être la même. Je me suis rasée dans le rétro d'un tracteur et ça m'a permis de me rappeler que je ne me rappelais même plus mon visage, le vrai. Après j'ai fui par les champs et par la forêt, j'ai demandé où était la gare et on m'y a déposée gentiment. J'ai demandé un billet pour Paris car c'était l'évidence et je suis montée dans le train pour reprendre mon souffle.
- Et vous voilà ici...
- Non. Ça c'était y'a longtemps déjà. En arrivant à Paris j'ai zoné un peu avec les clochards autour de la gare. Y'en a un qui m'a dit qu'avec ma gueule ambiguë je trouverais facilement une clientèle, alors je suis allée dans ces quartiers où les types viennent pour pas faire l'amour à leur femme. Dans un premier temps, je leur demandais juste de quoi me payer une chambre pour la nuit et assez pour manger un peu parce que le corps a ses raisons. Je continuais à me raser mais pas trop car il fallait leur laisser de quoi fantasmer. De toute façon j'avais arrêté les hormones par obligation, et en plus de ne pas mourir j'avais remarqué que ma barbe avait tendance à pousser moins vite, même si ma peau conservait son teint de jeune homme. J'ai effectivement commencé à avoir une clientèle fiable, j'ai pu me payer une chambre de bonne et j'ai pas tardé à avoir suffisamment d'argent pour que mon activité ne soit plus vitale. Y'a une dame d'à côté, un genre de voisine, qui m'a montré à faire du tricot et de la couture et je me suis mise à faire des dépannages, comme on dit. J'ai acheté une machine à coudre et les gens du quartier m'amenaient des ourlets à faire, des pulls à raccommoder ou des chaussettes de bébé à tricoter. En conservant un peu ma clientèle d'hommes, j'ai ainsi pu vivre quelques années comme ça, en restant plus ou moins enfermée car de toutes manières j'avais perdu l'habitude de me mêler à la foule.
Et puis l'autre jour ça m'a pris, j'ai décidé de les revoir. Je me rappelle ces villages où on passait, et quand. J'ai repris le train et j'y suis allée. Je me doutais bien qu'il ne restait plus grand-chose de Polly vu l'état avancé dans lequel je l'avais quittée mais j'avais peur d'être reconnue par le patron. J'ai regardé de loin et de toute évidence ce n'était pas lui. Je sais pas s'il s'était fait briser la nuque par Hercule, bouffer le cerveau par le mangeur de ferraille ou s'il était en tôle pour avoir fusillé des monstres, mais l'affaire avait été reprise par un autre. Et à en croire les affiches et la devanture, y'a pas que lui qui avait changé. Par contre, y'en a un qui était toujours là. Et c'était l'attraction phare, la tête de gondole du rayon monstres horribles. Il était devenu un adulte, hein, et apparemment son père n'était plus de la partie. Alors je suis entrée dans mon entre-sort. J'ai vu des nouveaux, oui. Un nain, une femme-poulpe, d'autres trucs pas possibles comme ça. Et j'ai vu mon fils derrière la vitre. Il m'a regardée mais je ne sais pas s'il m'a vue. Son visage ne pouvait trahir aucune expression tant il était difforme et figé dans la douleur. Ses yeux ont dû me reconnaître, mais où est partie l'information ? Et puis de toute façon, j'étais de l'autre côté de la vitre. J'étais devenue son monstre, son différent. Et je me dis que je l'ai certainement dégoûté.
C'était hier, ça.
Alors est-ce que j'ai tué quelqu'un ? A vous de voir.

Elle se tut définitivement, je pense qu'elle avait fini son histoire. Je crois que je comprenais ce qu'elle suggérait, que parfois donner la vie est plus horrible que donner la mort, mais je suis même pas sûr de pouvoir préjuger de ça efficacement. C'était une sale histoire, y'a pas de mystère possible là-dessus. Moi j'en restais pas moins un privé, j'avais noté un tas de questions à lui poser mais j'étais pas sûr d'avoir envie d'entendre les réponses. Elle m'avait raconté tout ça comme pour cracher son gros morceau, mais sûrement pas pour faire une sorte de témoignage sous serment. Alors le reste, je m'en cognais pas mal. Professionnellement parlant on est toujours à la recherche d'histoires sordides, le sensationnalisme c'est notre adrénaline. Là j'avais été servi on peut dire, et pourtant le privé que j'étais avait vite lâché l'affaire.
Elle regardait au dehors, si tant est qu'on puisse parler de regard. Disons que ses yeux étaient dirigés vers le paysage qui défilait. On a gardé le silence encore une dizaine de minutes, jusqu'à l'arrivée en gare de Nevers. Elle s'est levée et est passée devant moi sans me voir ni entendre mon salut bon voyage. Elle s'est dirigée machinalement vers un autre train en direction de Paris et moi j'ai quitté la femme à barbe et la gare pour d'autres aventures, ou tout comme.

Je suis rentré sur Paris le lendemain mais c'est seulement le surlendemain que l'info est apparue dans le journal. Deux jours plus tôt une femme s'était suicidée sur la ligne Nevers-Paris. Elle avait attendue que le train passe sous un pont pour se jeter dans le vide. Son corps avait percuté le pilier à trop grande vitesse et il avait été retrouvé en deux fois, décapité. Elle avait fini par tuer un des monstres.
Alors ne loupez pas, prochainement dans votre village et en exclusivité mondiale, la siamoise à barbe sans tête.


Fin
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commentaires

E
<br /> quand l'histoire se mêle de l'Histoire, c'est excellent. c'est ça, cette nouvelle est excellente.<br /> <br /> <br />
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E
<br /> quand l'histoire se mêle de l'Histoire, c'est excellent. c'est ça, cette nouvelle est excellente.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> et ben! si je m'attendais à ça! encore une fois, ravie de te relire en si grande forme!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Un grand moment de narration pure qu'on s'injecterait direct dans les veines si on le pouvait!<br /> <br /> <br />
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S
<br /> c'est pas d'la pure, c'est d'la coupée (en 5 épisodes)<br /> <br /> <br />
M
<br /> Ben tu sais....je reste silencieuse....j'apprécie<br /> <br /> <br />
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S
<br /> toi, silencieuse ?<br /> tsssss...<br /> <br /> <br />