30 octobre 2009
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(avant ça parlait de ça, mais tout au début ça ressemblait plutôt à ça)
- Femme à barbe, faut pas croire que c'est qu'un métier. Sœur siamoise ça l'était, femme-poney aussi. Mais femme à barbe c'est un sacerdoce. Vous pouvez être femme-n'importe quoi que ce sera jamais pire, car vous ne serez jamais vraiment une femme. Polly on la voyait comme un poney. Elle n'avait pas de seins, pas de jambes, c'était pas une femme, mais un poney mal fini. Moi j'étais une femme avant tout, sauf que j'avais des poils et des trucs de mecs. Tout ce que j'étais et avais en moi était humain, vous comprenez ? J'étais humaine à 100%, à 200% même. C'est malin de constater qu'il m'a fallu ça pour comprendre les autres, les vrais, pas les trafiqués. Il a fallu que je devienne l'un d'eux pour concevoir que c'était peut-être plus raisonnable de vivre caché plutôt qu'exposé ...
Je devais continuer à prendre des hormones, ils m'avaient dit que je devais en prendre à vie sinon je risquais de mourir. Ça n'a pas arrangé ma santé, surtout mentale. J'ai ainsi été femme à barbe déprimée pendant des années. La troupe continuait à vivre au gré des arrivées, des départs, des retours de certains qui en étaient arrivés à la même conclusion que moi : leur vie était ici.
Le gosse grandissait de partout mais c'était peut-être lui le plus heureux de tous, vu qu'ayant toujours vécu au milieu des différents. Lui ses différents il les voyait le week-end, de l'autre côté de la vitre. Même que j'ai commencé à le considérer comme mon gosse.
- Polly c'est la fille qui a été engagée pour faire la femme-poney. Elle était pas bien grande mais trop pour faire la naine de service. Ou alors la naine la plus grande du monde, voyez l'genre ? Alors comme elle avait des cheveux longs qu'on aurait dit une crinière de cheval, ils l'ont mise dans un corps de poney empaillé ou tout comme. Juste la tête qui dépassait par le trou du cou, c'était très réussi faut dire.
Elle a rapidement eu les faveurs du patron, jusque dans son lit. Et elle s'est tout de suite imposée comme la nouvelle patronne. Ça ne l'empêchait pas de crapahuter avec les autres mâles du groupe mais la vérité c'est que personne ne pouvait la blairer. Tout le monde se méfiait d'elle. Trop au lit pour être honnête.
- Ou trop ponette pour être Polly...
- Si ça vous convient.
Quand elle est arrivée j'étais déjà enceinte de Elephant Man. Elle s'en est aperçue la première et elle a tout de suite pensé à l'intérêt qu'ils pourraient en tirer. Avec un peu de chance le gosse aurait les traits de son père, alors vous pensez ! Et puis la naissance d'un monstre en captivité c'est tellement rare... Avec un minimum de psychologie et un maximum de menaces, elle m'a convaincue de garder le gosse. Moi j'avais tendance à lui coller des beignes dans mon ventre, mais comme une mère. C'est-à-dire suffisamment fort pour décharger ma colère mais pas assez pour le tuer. Tout au plus il garderait des séquelles et naîtrait difforme. Et ça allait déranger qui, hein ?
Elle a rapidement eu les faveurs du patron, jusque dans son lit. Et elle s'est tout de suite imposée comme la nouvelle patronne. Ça ne l'empêchait pas de crapahuter avec les autres mâles du groupe mais la vérité c'est que personne ne pouvait la blairer. Tout le monde se méfiait d'elle. Trop au lit pour être honnête.
- Ou trop ponette pour être Polly...
- Si ça vous convient.
Quand elle est arrivée j'étais déjà enceinte de Elephant Man. Elle s'en est aperçue la première et elle a tout de suite pensé à l'intérêt qu'ils pourraient en tirer. Avec un peu de chance le gosse aurait les traits de son père, alors vous pensez ! Et puis la naissance d'un monstre en captivité c'est tellement rare... Avec un minimum de psychologie et un maximum de menaces, elle m'a convaincue de garder le gosse. Moi j'avais tendance à lui coller des beignes dans mon ventre, mais comme une mère. C'est-à-dire suffisamment fort pour décharger ma colère mais pas assez pour le tuer. Tout au plus il garderait des séquelles et naîtrait difforme. Et ça allait déranger qui, hein ?
Je pense que si j'avais été chrétien j'aurais dégobillé mon repas de communiant et tous ceux depuis. Je ne sais pas ce qui était le plus gerbant : qu'elle tente de s'en débarrasser ainsi ou qu'elle mène la grossesse à son terme ? C'est certain que je ne verrais plus les poneys de la même manière, p't'être bien même que maintenant j'aurais de vraies bonnes raisons de ne pas les aimer.
- Au final, je crois que ça me convenait plutôt bien, en fait. J'avais une excuse, aussi dégueulasse soit-elle, pour garder ce gosse. De toute façon, vu qu'on ne connaissait pas la maladie exacte du père, on pouvait craindre que le fœtus ne soit pas viable. Polly craignait surtout que le gosse n'ait aucune tare génétique. Vous imaginez l'horreur, un gosse normal !
Quand j'ai commencé à avoir trop de bide, ils m'ont demandé d'arrêter de faire la sœur siamoise. Ma comparse en a profité pour se tirer quelques temps après et elle m'a conseillé d'en faire autant. Mais enceinte jusqu'aux dents du fonds, je vois pas trop ce que je pouvais me barrer. Alors je suis restée, à tuer l'ennui encore pire que d'habitude.
Au septième mois, j'ai accouché dans l'herbe. Je sais pas si c'est la douleur ou la réalité de cette... bestiole, mais je me suis évanouie. Il tenait de son père, ça oui. On n'était même pas sûrs de pouvoir trouver la bouche pour le nourrir. On a dû attendre ses trois mois pour valider que ce qu'il avait entre les jambes était un sexe masculin et non pas une de ses excroissances. C'était un garçon et on l'a appelé Dumbo parce que c'est la logique qui parle dans ces moments là.
C'est principalement Polly qui s'en occupait. Moi je le considérais pas comme mon enfant, j'étais juste comme une intermédiaire de recrutement. En fait j'étais avec lui le week-end, quand Polly faisait le poney et moi rien. J'avais souvent des nausées et des douleurs dans le ventre depuis mon accouchement. Ils m'avaient filé des cachetons et fait boire des trucs mais ça changeait rien, c'était même plutôt pire. Un jour que j'ai demandé ce qu'ils pensaient faire de moi et s'ils allaient me retrouver une demi-sœur siamoise, ils m'ont dit de patienter un peu et que j'allais pas tarder à comprendre.
C'est le bouffeur de ferraille qui m'en a parlé le premier. Il m'a dit texto qu'il avait l'impression que je muais, depuis l'accouchement. Il a pas dit que je changeais, j'me rappelle qu'il a bien dit que je muais. Et il avait raison ce con là, j'ai bien été obligée de constater que mon corps changeait, ma voix aussi et...
- Et vous commenciez à avoir de la barbe...
- Bien vu Columbo. Le truc c'est que je savais pas pourquoi, je croyais que je vieillissais à cause de la grossesse ou que Dumbo m'avait collé des saloperies dans le corps qui me transformaient moi aussi en monstre. Puis un jour Polly m'a dit la vérité, parce que ça la démangeait sûrement de voir la gueule que je tirerais en l'apprenant. Elle m'a avoué que le patron et elle m'avaient fait avaler des tas de machins, des stérones j'sais pas quoi, des hormones mâles si vous préférez. Ces salauds là avaient envie de se payer une femme à barbe alors ils m'ont transformée en mec ! Notez, c'était plutôt pas con, ils prenaient peu de risques. Ils savaient bien qu'une fois que j'aurais subi les mutations j'allais pas me barrer alors que plus que jamais ma place était ici.
Le pire de tout ça, c'est que j'étais tellement malade à cause des hormones qui travaillaient et aussi tellement déprimée par tout ce qui m'arrivait depuis quelques mois, que j'ai même pas réussi à trouver la force de les haïr. C'est comme si en entrant chez eux j'avais signé un pacte avec le diable et que je m'engageais à accepter toutes les ignominies. Surtout les ignominies.
Je suis restée en transformation assez longtemps, plusieurs mois. Le gosse grandissait aussi de son côté, ce n'était plus le chétif prématuré des débuts mais déjà un beau spécimen d'horreur boursoufflée. Il était immonde, et j'étais pas la seule à le penser puisqu'ils l'ont rapidement foutu derrière la vitrine avec son père. La famille Difforme, comme c'est mignon !
Et pendant que le gosse avait son premier job, moi j'étais prête à reprendre le boulot aussi. J'avais une barbe satisfaisante, j'avais pris quatre pointures de pied, j'avais les bras plus musclés et poilus, bref j'étais devenue la femme à barbe. Et ma reconversion pouvait commencer.
Ça doit vous paraître fou, hein ? Que je me sois autant laissée embarquer là dedans, jusqu'au bout de l'innommable ?
Quand j'ai commencé à avoir trop de bide, ils m'ont demandé d'arrêter de faire la sœur siamoise. Ma comparse en a profité pour se tirer quelques temps après et elle m'a conseillé d'en faire autant. Mais enceinte jusqu'aux dents du fonds, je vois pas trop ce que je pouvais me barrer. Alors je suis restée, à tuer l'ennui encore pire que d'habitude.
Au septième mois, j'ai accouché dans l'herbe. Je sais pas si c'est la douleur ou la réalité de cette... bestiole, mais je me suis évanouie. Il tenait de son père, ça oui. On n'était même pas sûrs de pouvoir trouver la bouche pour le nourrir. On a dû attendre ses trois mois pour valider que ce qu'il avait entre les jambes était un sexe masculin et non pas une de ses excroissances. C'était un garçon et on l'a appelé Dumbo parce que c'est la logique qui parle dans ces moments là.
C'est principalement Polly qui s'en occupait. Moi je le considérais pas comme mon enfant, j'étais juste comme une intermédiaire de recrutement. En fait j'étais avec lui le week-end, quand Polly faisait le poney et moi rien. J'avais souvent des nausées et des douleurs dans le ventre depuis mon accouchement. Ils m'avaient filé des cachetons et fait boire des trucs mais ça changeait rien, c'était même plutôt pire. Un jour que j'ai demandé ce qu'ils pensaient faire de moi et s'ils allaient me retrouver une demi-sœur siamoise, ils m'ont dit de patienter un peu et que j'allais pas tarder à comprendre.
C'est le bouffeur de ferraille qui m'en a parlé le premier. Il m'a dit texto qu'il avait l'impression que je muais, depuis l'accouchement. Il a pas dit que je changeais, j'me rappelle qu'il a bien dit que je muais. Et il avait raison ce con là, j'ai bien été obligée de constater que mon corps changeait, ma voix aussi et...
- Et vous commenciez à avoir de la barbe...
- Bien vu Columbo. Le truc c'est que je savais pas pourquoi, je croyais que je vieillissais à cause de la grossesse ou que Dumbo m'avait collé des saloperies dans le corps qui me transformaient moi aussi en monstre. Puis un jour Polly m'a dit la vérité, parce que ça la démangeait sûrement de voir la gueule que je tirerais en l'apprenant. Elle m'a avoué que le patron et elle m'avaient fait avaler des tas de machins, des stérones j'sais pas quoi, des hormones mâles si vous préférez. Ces salauds là avaient envie de se payer une femme à barbe alors ils m'ont transformée en mec ! Notez, c'était plutôt pas con, ils prenaient peu de risques. Ils savaient bien qu'une fois que j'aurais subi les mutations j'allais pas me barrer alors que plus que jamais ma place était ici.
Le pire de tout ça, c'est que j'étais tellement malade à cause des hormones qui travaillaient et aussi tellement déprimée par tout ce qui m'arrivait depuis quelques mois, que j'ai même pas réussi à trouver la force de les haïr. C'est comme si en entrant chez eux j'avais signé un pacte avec le diable et que je m'engageais à accepter toutes les ignominies. Surtout les ignominies.
Je suis restée en transformation assez longtemps, plusieurs mois. Le gosse grandissait aussi de son côté, ce n'était plus le chétif prématuré des débuts mais déjà un beau spécimen d'horreur boursoufflée. Il était immonde, et j'étais pas la seule à le penser puisqu'ils l'ont rapidement foutu derrière la vitrine avec son père. La famille Difforme, comme c'est mignon !
Et pendant que le gosse avait son premier job, moi j'étais prête à reprendre le boulot aussi. J'avais une barbe satisfaisante, j'avais pris quatre pointures de pied, j'avais les bras plus musclés et poilus, bref j'étais devenue la femme à barbe. Et ma reconversion pouvait commencer.
Ça doit vous paraître fou, hein ? Que je me sois autant laissée embarquer là dedans, jusqu'au bout de l'innommable ?
Un peu que ça me paraissait taré au plus haut point ! Mais j'allais lui dire quoi ? Qu'elle aurait dû prendre la fuite et qu'elles reprennent une vie normale, elle et sa barbe ?
Paradoxalement, le seul endroit où elle était dans son élément c'était chez les bizarroïdes, chez les erreurs, chez ceux qui n'ont rien à foutre sur la Terre mais qu'on a quand même envie d'aller regarder. Je crois qu'en effet, elle aurait mieux fait de tuer le gosse.
Paradoxalement, le seul endroit où elle était dans son élément c'était chez les bizarroïdes, chez les erreurs, chez ceux qui n'ont rien à foutre sur la Terre mais qu'on a quand même envie d'aller regarder. Je crois qu'en effet, elle aurait mieux fait de tuer le gosse.
- Femme à barbe, faut pas croire que c'est qu'un métier. Sœur siamoise ça l'était, femme-poney aussi. Mais femme à barbe c'est un sacerdoce. Vous pouvez être femme-n'importe quoi que ce sera jamais pire, car vous ne serez jamais vraiment une femme. Polly on la voyait comme un poney. Elle n'avait pas de seins, pas de jambes, c'était pas une femme, mais un poney mal fini. Moi j'étais une femme avant tout, sauf que j'avais des poils et des trucs de mecs. Tout ce que j'étais et avais en moi était humain, vous comprenez ? J'étais humaine à 100%, à 200% même. C'est malin de constater qu'il m'a fallu ça pour comprendre les autres, les vrais, pas les trafiqués. Il a fallu que je devienne l'un d'eux pour concevoir que c'était peut-être plus raisonnable de vivre caché plutôt qu'exposé ...
Je devais continuer à prendre des hormones, ils m'avaient dit que je devais en prendre à vie sinon je risquais de mourir. Ça n'a pas arrangé ma santé, surtout mentale. J'ai ainsi été femme à barbe déprimée pendant des années. La troupe continuait à vivre au gré des arrivées, des départs, des retours de certains qui en étaient arrivés à la même conclusion que moi : leur vie était ici.
Le gosse grandissait de partout mais c'était peut-être lui le plus heureux de tous, vu qu'ayant toujours vécu au milieu des différents. Lui ses différents il les voyait le week-end, de l'autre côté de la vitre. Même que j'ai commencé à le considérer comme mon gosse.
Elle marqua une pause. J'en avais bien besoin. Je savais que c'était pas rigolo de se moquer de ces gens là, parce que j'avais eu une éducation. Je me rendais bien compte que la pitié était certes inutile mais pas usurpée, et que les seules cages dans lesquelles ils étaient enfermés étaient celles qu'on leur bâtissait avec les barreaux de nos regards. Ils étaient différents et c'est ce qui les rendait finalement humains.
Merde, tiens ! V'là que j'me mettais à y mettre de la profondeur.
Merde, tiens ! V'là que j'me mettais à y mettre de la profondeur.
A suivre...