Je suis dans une immense prairie, l'herbe est haute et me caresse les chevilles, un souffle naissant et chaud incline subtilement les brins qui se déclinent en nuances de vert, la couleur de l'espoir, et ce dégradé s'estompe pour laisser la place à une vaste étendue d'un blanc pur, l'immaculé du champ de coton que je traverse maintenant et dans lequel chacun de mes pas fait voleter des houppes laineuses qui frôlent mon visage et chatouillent mon échine tandis que mes oreilles commencent à percevoir une musique lointaine, la mélopée feutrée des violons que rejoignent soudain les arpèges s'un piano qui joue ma chanson préférée, celle que j'imagine écrite juste pour moi, celle dont les notes me murmurent des choses que personne d'autre ne peut comprendre et qui fait s'ébattre les oiseaux dans un ciel bleu comme c'est pas permis et dans l'horizon duquel passe un troupeau de chevaux au galop, des chevaux de Camargue sûrement, et aussi des gazelles bondissantes et aériennes qui s'arrêtent pour s'abreuver à un ruisseau sinuant parmi les coquelicots dont l'odeur des pétales rappelle un orage de printemps, au tumulte évoqué par le grondement d'un volcan lointain et dont la chaleur mêlée à celle du soleil brûle l'épiderme et donne les mains moites, et aussi des fourmillements dans les pieds quand aux grognements de l'éruption qui couve s'ajoutent les riffs d'une guitare électrique, les martellements d'une grosse caisse tels ceux d'une batterie de DCA, qui m'amènent à visionner des images tristes, contrastantes, celles de bombardements en temps de guerre, de famine dans le monde, de troisième tiers et de grèves dans les transports en commun un jeudi avec des communistes qui battent le pavé comme un cœur qui bat à en exploser derrière mes paupières closes, mais lorsque je rouvre les yeux, le ruisseau a grossi, est devenu mer, puis océan, la musique s'accélère au rythme des vibrations causées par la course affolée de quelques éléphants foulant le rivage et éclaboussant le sable des premières gouttes des vagues annonciatrices d'une marée montante et que rien n'arrête, d'autant que la musique se fait insistante et assourdissante, et avant que le tsunami ne me submerge une question évidente m'apparaît brutalement, dont l'imminence de la réponse ne survivra pas une seconde de plus, et avant d'être emporté par le cataclysme je demande dans un spasme lucide : "Tu avales ou tu préfères tout dans les cheveux ?".
Un déchirement, un vide, une porte qui claque. Puis une secousse sismique, une délivrance, le néant. J'envoie tout sur le mur, une seconde salve crible le linoléum avant qu'une dernière réplique ne vienne postillonner sur mes doigts de pieds.
Elle aurait peut-être préféré tout sur les seins.