Là, ils ne me trouveront pas, il ne peut rien m'arriver. Il y a du matériel de ménage partout autour de moi et j'ai pris un balai pour coincer la poignée avec le manche, comme ça ils se diront que c'est juste un placard fermé à clé. J'espère qu'ils se diront ça...
Il fait tout noir, là dedans, seul un rai de lumière filtre sous la porte et il est parfois interrompu lorsqu'ils passent devant le placard. Je sens leurs allers et venues incessants, chaque fois que la lumière faiblit sous la porte et que j'entends les talonnettes claquer sur le carrelage, je m'arrête de respirer. Et je retiens mon souffle le plus longtemps possible. J'attends qu'ils soient partis pour respirer à nouveau, mais en cachant ma bouche dans ma manche pour faire le moins de bruit possible. J'ai peur de mourir étouffé.
Tout à l'heure, j'ai entendu le bruit des machines puis les hurlements d'un autre enfant. J'ai aussi entendu un monsieur dire que ça allait bien se passer, mais moi je sais que ça ne va pas bien se passer. Ils ne m'auront pas. Après que l'enfant a fini de crier, il y a eu des pas qui se sont rapprochés, mais pas comme ceux qui claquent, pas comme ceux du monsieur énervé. C'était ceux de maman, je l'ai entendu chuchoter mon prénom. Elle avait une toute petite voix, comme pour me rassurer. Mais j'ai reconnu cette petite voix, c'est celle de quand elle m'avait dit pour la maladie de papi et qu'il allait bientôt monter au ciel, c'est la voix de quand elle est triste et qu'elle a les chocottes. Et là elle avait peur parce que je m'étais enfui, et du coup à moi ça m'a fait encore plus peur que la voix du monsieur énervé, et j'ai pleuré dans ma manche.
La porte de la pièce du fond s'est ouverte et ça a fait plein de lumière dans le placard par en dessous. J'ai entendu le monsieur énervé demander "vous l'avez toujours pas retrouvé ?", puis quelqu'un répondre que non, puis la voix de maman qui bafouillait, puis le monsieur énervé dire très fort "il doit quand même pas être bien loin !" .Et ça n'a pas arrêté de passer et repasser devant la porte, la lumière disparaissait puis réapparaissait et redisparaissait encore. Et à un moment, plus de lumière du tout. Plus de pas dans le couloir. J'ai senti la poignée bouger, doucement au début, puis des grands coups forts. Alors j'ai reculé, j'ai poussé des bouteilles de je-sais-pas-quoi et j'ai trouvé des chiffons et des serpillières et je l'ai ai mis sur moi pour me cacher, et dehors j'ai entendu le monsieur énervé dire "il est là, j'ai entendu du bruit là dedans", et il a donné un grand coup dans la porte, et plein de lumière est entrée d'un seul coup et j'ai vu son ombre, elle était petite et grosse et ça m'a fait encore plus peur et j'ai crié et ma respiration s'est coupée.
Le monsieur énervé s'est approché de moi et il s'est baissé pour me regarder en face. Il a pris sa voix toute douce, mais moi je savais qu'il était encore très énervé en dedans. Et il a dit : "Alors, on joue à se cacher ? On a peur du monsieur ? Mais tu n'as rien à craindre, tu sais, ça va bien se passer. Allez, viens par ici, la dame va te faire une piqure pour que tu ne sentes rien. Et après je vais mettre la machine dans ta bouche, et elle sera partie pour de bon, cette vilaine carie !"