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Qui Ça?

  • : Stipe se laisse pousser le blog
  • : Je m'étais juré sur la tête du premier venu que jamais, ô grand jamais je n'aurais mon propre blog. Dont acte. Bonne lecture et n'hésitez pas à me laisser des commentaires dithyrambiques ou sinon je tue un petit animal mignon.
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La cour des innocents

La Cour des Innocents - couv - vignette

Dates à venir

- samedi 2 août, en dédicace à la Librairie Montaigne (Bergerac) de 10h à 12h

- samedi 30 août, en dédicace à la Librairie du Hérisson (Egreville)

- dimanche 9 novembre, en dédicace au Grand Angle dans le cadre du salon Livres à Vous de Voiron.

1 mars 2010 1 01 /03 /mars /2010 09:52



Incroyable histoire qu'est celle de ma vie, que je vous raconte à mon tour. Les histoires survivent dans le récit. Autrement, autant se taire que de ne rien écouter. Combien je sais déjà que vous hausserez les épaules et biaiserez du regard, dubitatifs. Poufferez, donnerez dans l'onomatopée courroucée, surpris peut-être. Et pourtant.

Tout a commencé au début, dans l'ordre des choses. C'est à la fin, vous verrez, que je perds un peu la tourneboule à cause de la vache qui parle, mais au début non. Non, au début j'étais simplement en vacances chez mon ami Gabon qui, malgré son prénom, n'était pas un pays mais un ami chez qui j'étais en vacances. A la campagne et française. L'Afrique ? Pfftt, jamais vu. Or donc, Gabon peignait. Enfin, je crois. Ou il photographiait des photos, non ? Mince... Enfin, il faisait un truc, ça je m'en rappelle, artistique. Et sa matière préférée était la vache, puisqu'il en est question. Au début c'est déjà pas mal, n'est-il ?
Gabon regardait donc des vaches, mais quand on me l'a raconté c'était mieux dit, genre "mon ami s'adonnait à la contemplation bovine". Notez bien que moi, je n'étais qu'invité alors je n'osais trop rien dire, et le serveur me fit goûter d'un Crozes-Hermitage qui était bien plus tannique que le second. Pendant ce temps, Gabon m'avait parlé d'une vache qui avait retenu toute mon attention et qui s'appelait Olga, je le sais car son nom est revenu plus tard dans l'histoire mais la première fois j'avais raté à cause du Crozes-Hermitage qui était plus tannique que le second.
La vache en question avait de cet air que toutes les vaches ont à revendre, sauf que nonobstant, celle-ci avait un regard hypnotique à vous endormir les pierres un soir de pleine Lune. Un téléphone sonna, la personne ne décrocha pas mais le téléphone tinta d'une différente sonnerie, signalant au non-décrocheur qu'on lui avait laissé un message, du coup. Le lendemain, je me rendis au pré pour revoir Olga et là j'ai commencé à avoir un premier coup de mou : j'ai regardé ma montre, tenté de bailler discrètement mais tu parles, on a toujours une tronche de con visible à des kilomètres à la ronde quand on retient un bâillement, on a les yeux qui pleurent et d'autres particularités faites du même bois de tonneau.
Et à un moment donné, Olga se met à me parler. Là ça pouffe poliment parce qu'une vache qui parle, quand même, bon. S'en suivent des lettres à mes amis, qui commencent à me prendre pour fou. Des questionnements métaphysiques, forcément, qui blanchissent mes nuits. Le serveur qui me demande pour le Crozes, je ne lui dis pas qu'il est plus tannique que le second car je ne savais pas encore. Gabon s'absente quelque temps, je ne me souviens plus pourquoi et je crois que je commence à m'en foutre. Et quand je reviens d'être allé pisser, Olga a emménagé avec moi à Paris.
Rémi, ou un autre prénom mais pas de pays, ça j'en suis sûr, celui qui veut monter la pièce de théâtre avec Olga, me rappelle pour les répétitions mais j'y comprends rien, pour être franc.

Ça commence pas à être un peu long ? Si, hein ?

Véronique prend son rôle très à cœur, mais y'a des hauts et des bas. Je ne sais pas qui est Véronique. Olga parle de mieux en mieux. Ma pensée vagabonde pas mal, je me cure le nez, regarde l'heure qui en est à 3 minutes de plus que la dernière fois, et quand je reprends mes esprits, ben je suis en train d'errer dans Paris, à moitié fou. A un moment donné, après des hauts plutôt bas, je dis "Je t'aime" à Olga. La vache qui parle. Je me retrouve avec une corne sciée dans la main. Mais pas une à Olga. Non, "d'Olga". A cause du gérondif qui fait qu'on dit "la bite de Dudule". Je me demande si y'en a encore pour longtemps de ces conneries, parce que là vraiment je commence à être complètement paumé dans l'histoire de ma vie, quand soudainement, coup de théâtre ! J'abats Olga d'un coup de fusil dans sa tronche de grosse vache, pan ! Et je m'assois contre un arbre, et c'est fini.

Voilà, c'était la longue histoire de ma vie telle qu'on me l'a racontée. Ou plutôt telle que je vous raconte qu'on me l'a longuement racontée, dans ce bar.
Enfin, vous me comprenez, quoi ?




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10 février 2010 3 10 /02 /février /2010 06:00


(le début est par ici)



La patronne m'a effectivement offert le p'tit blanc, j'ai dit que je venais de la part d'un gars qui m'a indiqué la route, il semblerait que ce sésame lui ait suffit. Elle m'a ensuite fait visiter ma chambre. Spacieuse et soignée, la vue sur les vignes et sur les reliefs bourguignons me garantit le dépaysement. Le repas qui suit est fidèle à la réputation gastronomique que l'on prête à cette région, le rouge qu'elle me sert n'a pas eu le temps de connaître les faveurs du tire-bouchon de Q. Elle a dégainé le sien de la poche de son tablier avant que j'ai eu fini de lire le vignoble sur l'étiquette. Superbe modèle d'ingéniosité, le sien, un De Gaulle qui lève les bras en s'enfonçant dans le bouchon, qu'elle extrait en les rabattant d'un coup sec dans un "ploc" prometteur.
L'endroit me paraît mieux qu'un moindre mal pour cautionner mon séjour. Et en plus, elle prend les tickets restos. Je profite de cet élan d'optimisme pour m'adresser à la tenancière du lieu :
-  Dites voir, patronne, sauriez-vous m'indiquer un lieu de distraction où je pourrais mettre à profit mon ébriété naissante et tuer mon précieux temps à coups d'occupation divertissante ?
-  Elle a rien compris.
-  Quand vous voulez vous amuser, vous autres, comment vous vous y prenez ? Tel est le but de ma question.
-  Ben en journée y'a bien la machine à trancher le jambon chez le charcutier. Mais il doit être fermé à c't'heure. Pis sinon y'a la télé.
-  ...
-  Et pourquoi il irait pas faire un tour de solex sans casque ? C'est divertant, ça !
-  On m'a conseillé le Bar des Sports. 
-  Ah, ce genre d'amusement de la jeunesse. Ça, pour sûr qu'y a pas de billard électrique dans mon établissement. Bon alors pour y aller, c'est simple : c'est pas compliqué. Y'a juste qu'à faire le même chemin que pour venir ici, mais à reculons.
-  Merci brave dame, à demain.
-  Bonne soirée, Monsieur Bond.
-  Une dernière chose, vous pourriez m'appeler un taxi ?
-  On se connaît pas assez pour ça, je préfère continuer à vous appeler Monsieur Bond.
Je la laisse à son propos et vais appeler moi-même le taxi. Je l'entends parler discrètement au téléphone, je parierais qu'elle fait part de ma prochaine étape. Les moyens de communication semblent fonctionner à merveille dès lors qu'il s'agit de colporter.

Dix minutes après. Une voiture fait crisser les graviers. La portière arrière s'ouvre et m'invite à pénétrer dans la limousine aux vitres fumées. L'intérieur est en cuir et une vitre me sépare du chauffeur, sûrement pour éviter au client de lui jeter des cacahuètes. Je perçois le claquement des portières qui se verrouillent puis un pshittt de mauvais augure. Et l'intérieur devient comme les vitres : fumée.
Quand je sors de mon roupillon quelques heures plus tard, au moins une semaine s'est écoulée. Une terrible migraine semble avoir établi son nid dans le coton de mon cerveau. Je passe machinalement ma main sur mon cuir chevelu et évalue la taille de la bosse qui a poussé. Joli coup.
Je jette un œil torve alentour. La décoration est sommaire : une porte et un malabar de type local qui me tient en respect avec un fusil de chasse. Je prends l'initiative des présentations.
-  Bonjour mon brave. My name is Bond, James Bond.
-  Pas moi. Si il fait le moindre geste, j'le dégomme comme un sanglier.
-  Je vais réfléchir à votre proposition...
Le gaz soporifique n'a pas totalement dissipé ses volutes et je sens que je vais avoir du mal à compter sur moi-même pour tenter de me tirer de ce sale pas. Je suis forcément moins alerte quand j'ai le cerveau fracassé.
-  Dites, la bosse c'était obligatoire ?
-  Non.
Le costaud a l'air aussi avenant qu'une infection ovarienne chez la guenon. Il a les épaules plus larges qu'un meuble de brocante franc-comtoise. Alors autant dire que le fusil relève plus du gadget que de l'arme de dissuasion. Il sort un téléphone portable d'une de ses poches garde-manger, et compose un numéro avec toute la facilité que lui propose la combinaison d'une mémoire de poisson rouge alzheimer et de la dextérité digitale d'un éléphant de mer portant des moufles. J'ai tout le loisir de noter le numéro qu'il appelle. Ça décroche, il cause.
-  Patronne ?
-  ...
-  Ben la patronne, quoi ?
-  ...
-  Ah ben j'ai du me tromper d'erreur de numéro. Désolé de vous avoir causé du dérangement.
Il raccroche en broyant la moitié des touches du clavier et observe l'écran du téléphone avec l'air le plus perplexe du monde, semblant chercher la raison pour laquelle la technologie moderne lui a joué un tour de cochon. Je profite de cet instant d'intense réflexion pour chiffonner le morceau de papier dans mon cerveau sur lequel j'avais griffonné le numéro, et lui balance la boulette au visage. C'est une image, mais qui fait du bien.
Mon rude bonhomme pose alors son fusil contre le mur et sort par la porte. Celle-ci semble donner sur une chambre, d'où j'entends voler des noms de volatiles obèses, le gaillard d'avant se fait rebaptiser par une voix de baryton triple alto.
Quand il finit par revenir, il est accompagné d'une espèce de bonne femme maquillée comme une pute volée. Et moi je suis accompagné du fusil. Je lui lance, perfide :
-  Alors Dugenou, qui c'est qui a une tête de sanglier, hein ?
Je vais pour enchaîner avec une allusion sur sa tête de phacochère, mais faisant fi de ma menace et de mon cynisme, le belliqueux s'approche de moi avec ce qu'il a de plus nonchalant dans la démarche. Je riposte à sa bravade par une pression sur la détente du fusil, mais celle-ci ne renvoie que le cliquetis significatif du fusil chargé à vide. Et c'est d'un bourre-pif chargé à l'acier qu'il punit mon impétueuse initiative. Je repense au sanglier et à son groin écrabouillé et je me prends déjà de nostalgie pour feue la symétrie de mon nez.
Mon bourreau me sort de mes considérations philosophiques en m'attrapant l'oreille à pleine main. Il me relève ainsi, me dépoussière les vêtements avec toute la préciosité qui l'habite puis se crache dans la paume et me passe la main dans les cheveux pour me coiffer une raie sur le côté.
-  Faut être présentab', quand c'est qu'on doit causer à une dame du monde.
Ce type avait du être poète-cariste il y a plusieurs vies de ça. Il me présente devant la bonne femme, ou tout comme. Elle prend la parole, je la lui laisse.
-  Paraît que vous êtes James Bond ? Paraît que vous me cherchez ?
-  Pourquoi, vous êtes un billard électrique ?
Le gaillard salue ma répartie d'un second coup de poing sur ce qui me reste de pif. Je veux lui signaler son manque d'originalité mais ne parvient qu'à balbutier que quelques bulles de sang. La grosse moche reprend la discussion et donne à nouveau dans la devinette :
-  Vous voyez toujours pas qui je suis ?
J'hausse les épaules, genre "ça dépend". Le malabar bourguignon incite à la pondération.
Elle continue à m'imposer son monologue :
-  Madame Solange, ça vous cause ?
Haussement d'épaules. "Ça dépend".
-  C'est peut-être pas le genre d'ébats auxquels vous vous attendiez. Mais j'aime pas trop qu'on vienne foutre son nez dans mes affaires !
Paradoxal, pour une ancienne putain. Et puis de toute façon, vu ce qu'il en reste, de mon nez, elle ne risque pas grand-chose...
-  C'que vous cherchez, c'est moi qui l'aie. Me demandez pas pourquoi ni comment, c'est une longue histoire et je préfère garder ma salive pour vous cracher dessus.
Charmante attention. En même temps, si elle balance le nom du coupable dès le début du film, va falloir meubler pour la suite.
Elle demande à Jean-Claude, c'est le prénom du comique-troupier, d'appeler les autres. Et arrive alors une dizaine de Jean-Claude avec des fusils, des fourches, des barres à mine et toute la panoplie du parfait quincailler-tripier. C'est les autres.
-  Je suppose qu'il est inutile que je vous fasse un dessin ? Au revoir, Monsieur Bond...
Dommage pour le dessin, j'aurais pu lui proposer mon stylo quatre couleurs. Elle sort et me laisse en tête à têtes avec les chewing-gums. Je pense qu'en toute objectivité, je suis dans le pétrin.

-  Coupez !!
Le metteur en scène fait son apparition avec fracas, il brandit les poings au ciel et fulmine comme un pompier
-  Ça va pas du tout du tout, là !! Ils vont tout me bousiller mon gars, les bouseux ! C'est que j'en ai encore besoin de mon héros, moi ! Bon James, mouche ton sang et ravale tes dents, on se tire...

J'ai quand même gardé ma chambre pour une semaine supplémentaire. J'aime bien leur pinard.


Fin




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8 février 2010 1 08 /02 /février /2010 21:21


-  James, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
-  Commencez par la bonne, je vous prie.
-  Je vais plutôt commencer par la mauvaise.
-  Je vous écoute, Monsieur le Ministre.
-  Voilà James, vous savez qu'il y a eu la crise économique et ...
-  Quoi, vous allez réduire mon cachet ?
-  Oui, entre autre. Mais y'a aussi eu le réchauffement climatique et ...
-  Je vais rouler en voiture hybride, c'est ça ?
-  En voiturette électrique, pour être précis. Mais y'a aussi la poussée générale du racisme et du repli sur soi-même et...
-  Je vais quand même pas devoir me battre contre des méchants qui sont gentils ?
-  Contre un enfant. Et premier de sa classe, qui plus est. Mais surtout en cette période morose les gens cherchent à se réfugier dans l'authentique, les valeurs sûres, ils veulent s'identifier à leur héros et...
-  Je vais loger chez l'habitant ou bien ?
-  Au camping municipal, en fait. Dans une caravane avec vue sur le terrain de pétanque et WC communs. A la turque, les ouaters, mais on vous fournit un seau d'eau et un pic pour en briser la glace et...
-  Attendez attendez. C'est quoi que vous me proposez, cette fois-ci ?
-  James, votre prochaine mission se déroulera dans l'Yonne.
-  Lionne ? En Afrique ?
-  Non, l'Yonne en Bourgogne.
-  Comme le vin ?
-  Oui. Et comme la région. C'est en France.
-  Comme le bateau ?
-  Et comme le pays.
-  Lord, avec toute la considération que je dois à votre fonction ô combien respectable, c'est quoi ces conneries ? Bon sang mais my name is Bond, James Bond. J'ai crapahuté dans tous les pays exotiques de la planète, j'ai niqué un géant avec des dents en ferraille, des savants fous, des armées russes. J'ai couché avec Ursula Andress ou Halle Berry, ...
-  Oui mais le Berry c'était pas dans notre budget. La Bourgogne c'est exactement comme vous aimez. Euh... sauvage. Et il y a une super équipe de foot, là bas. L'AJ Auxerre, même qu'ils ont déjà gagné la Coupe de France !!
-  Vous vous foutez de moi ?
-  Mais non. Trois fois, même !
-  Mais... Et je vais faire quoi là bas ? Ramasseur de balles ? Vendangeur ?
-  Non, pour ça ils ont déjà leur avant-centre belge.
C'est dans une charmante bourgade, vous verrez. Son trésor, qui date d'avant les années d'antan, est exposé au musée de Sens. Ou du moins il y était exposé, vu qu'il vient d'être volé, et sans effraction.
-  Et je dois le retrouver ?
-  Bingo ! On ne sait pas grand-chose sur ce trésor étant donné qu'il n'existe quasiment aucune trace de son histoire. Et les seuls documents semblant attester de son existence sont écrits dans un patois tellement incompréhensible que même les plus terreux des culs-terreux n'y comprennent rien et sont incapables de les déchiffrer.
-  Ça s'annonce coton. Mais la police locale ne peut pas s'en occuper ? Pourquoi envoyer un espion de ma pointure enquêter sur un trésor dont tout le monde se fiche ?
-  Pour aucune raison, Bond. Mais on n'a rien de mieux à vous proposer. Ou alors un plaisantin qui sonne aux portes et se barre en courant, dans un bled d'Arménie. Il sème la psychose au sein de la population, les gens n'en dorment plus la nuit et...
-  Ok, c'est très bien un trésor à retrouver dans l'Yonne... Et pour la James Bond Girl ?
-  Vous irez au Bar des Sports et vous demanderez Madame Solange. Elle a arrêté les frais il y a 25 ans mais elle a accepté de reprendre du service pour vous.
-  Ça s'annonce méga coton... Et comment s'appelle ce charmant trou où je dois accomplir mon prochain opus ?
-  Jeanpierreville ou Patrickland, un truc du genre. Attendez que je vérifie mon post-it... Ah voilà : Villethierry !
-  Tout un programme. Rien d'autre ?
-  C'est tout pour le moment. Vous passerez voir Irène la secrétaire, elle vous remettra des tickets restos et la clé de l'antivol du solex.
-  Je croyais que j'avais une voiturette électrique ?
-  C'est le cas, mais son autonomie est limitée à 70 kilomètres. Et nous ne sommes pas certains qu'il y ait l'électricité par là bas...
-  ...
-  Q va vous présenter ses deux dernières trouvailles. Vous savez qu'il n'est pas du genre à rester entre deux chaises. Q, c'est à vous.
-  Bonjour James.
-  Bonjour Q.
-  James, ma première invention est une tige métallique torsadée en forme de queue de cochon. Elle devrait vous permettre de parer à toute éventualité face à une bouteille de Chablis ou de Passetougrain. Elle vous sera très utile là bas.
Le second objet ressemble à s'y méprendre à un stylo. D'ailleurs c'en est un. Mais grâce à un ingénieux mécanisme, il vous suffira d'actionner l'un des quatre boutons situés à son extrémité pour écrire en noir, bleu, vert ou rouge à l'envi.
-  C'est comme qui dirait un stylo quatre couleurs?
-  Excellente idée ! Je n'avais pas encore trouvé de nom pour cette invention. James, vous êtes un génie !
-  C'est bien mon drame... Merci Q, si jamais je n'ai besoin de rien, je saurai m'adresser à vous. Au fait, Monsieur le Ministre, quelle est la bonne nouvelle ?
-  Le tournage aura lieu en juin. A cette époque, il devrait ne pas trop pleuvoir. Bonne chance, Bond.


My name is Bond, James Bond. J'ai crapahuté dans plein d'endroits, j'ai niqué des tas de vilains. J'ai couché avec des bombasses, ... Et aujourd'hui, me voilà parachuté à Villemachin où depuis mon arrivée la pluie n'a pas cessé d'intervenir en trombe. On m'a missionné de retrouver un trésor, des bijoux  de pacotille. Personne ne saurait dire précisément à quoi ils ressemblent, personne ne saurait même dire s'ils ont déjà ressemblé à quelque chose. Mais je suis un agent très spécial, je sais que des millions de gens vont suivre mes exploits icaunais alors j'ai pas vraiment intérêt à m'embourber dans la mélancolie des lieux.
En arrivant ici, j'ai revendu la voiturette pour pouvoir me payer l'hôtel. Je demanderai quand même une facture et essaierai de faire passer ça en note de frais.
Tiens, voilà un autochtone à l'air presqu'affable, il ne m'a pas encore lâché ses chiens dessus.
-  Ola, mon brave ! Toi y'en a pouvoir indiquer chemin à moi pour Hôtel du Lapin Bougon ? Toi y'en a moi comprendre dire ?
-  Dis donc le parisien, va falloir qu'il arrête de me prendre pour un con s'il veut pas recevoir un coup de manche de bêche derrière les oreilles ! Quand on a le soulier tout crotté, on fait profil bas et on s'exprime dans l'humilité.
-  L'humilité ça me donne des rhumatismes. Et ce n'est pas votre terre qui crotte mes souliers, c'est mes souliers qui vernissent votre terre. Alors cet hôtel, vous savez où il perche ?
-  Ben mon vieux, il cause bien haut pour quelqu'un qui va crécher au Lapin Bougon... Alors c'est pas compliqué, pour s'y rendre il va prendre tout droit, puis toujours tout droit sauf à un moment donné quand faudra qu'il tourne. Il va tomber sur un hôtel où que c'est marqué "Lapin Bougon" dessus, de là il sera arrivé. Il n'a qu'à dire qu'il vient de ma part, la patronne lui paiera le p'tit blanc.
-  Merci l'ami. Et comment qu'il s'appelle ?
-  Ben, "Au Lapin Bougon". Il vient de lui dire. Sont de bien curieuses gens, les parisiens de par chez vous.
Mes aventures s'annoncent pour le moins... aventureuses.



A suivre...





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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 00:01

 








A vingt-deux ans il en avait déjà passé cinq en prison. Principalement pour des gens qu'il avait tués, vu que c'était dans sa nature. Mais aussi pour des braquages commis en complicité avec Jack Kwaller. Jack était bâti comme deux semi-remorques, p't'être même bien que c'est pour ça qu'on, l'appelait Truck. Il buvait un bol de sang d'bébé au petit déjeuner, il tuait les bisons à coups de poings et il cassait des noix avec ses paupières. Le genre de gars que t'y réfléchis à deux fois avant de lui marcher sur le pied sans l'faire exprès.
Ces deux là, y z' avaient donné un temps dans le détroussage avec raffut caractérisé et y commençaient à être craints des habitants, mais les gens ont pas leur pareil pour avoir peur de la folie des hommes. On raconte que certains villageois venaient directement apporter leurs biens matériels à ces deux là, pour éviter qu'ils viennent se servir eux-mêmes avec pertes de dents et fracas de nez. Mais j'peux pas vous jurer de la vérité de ça, j'étais pas là ce jour là.
Une autre fois, si vous avez rien d'mieux à faire, j'vous parlerai de Jack "Truck" Kwaller et du jour où il a fendu une montagne en crachant dessus. Pour l'heure c'est d'Willy que je vous cause, ça, pour sûr que c'est d'Willy !

Après son dernier passage en prison d'où qu'il a été relâché parce qu'il avait extrait l'œil d'un gardien avec une petite cuillère rouillée - et faut bien vous dire que le petit personnel c'est pas une denrée facile - il s'est mis en caboche de gagner sa croûte honnêtement. On vieillit tous un jour, y'en a même qui passent leur vie à le faire. Mais même s'il avait décidé de plus faire le vilain, j'continue à vous causer de lui, il me reste quelques anecdotes, autant vous les fournir..

C'est donc comme ça que Willy est devenu chasseur de serpents, ouais, c'est ça qu'il est devenu. Et vous m'croirez si j'vous dis que c'est de là que lui vient son surnom...
Chasseur de serpents c'est un métier comme les autres, par Killtown, mais avec un peu plus de différences.
Par chez nous là bas, c'est infesté de copperheads, c'est pas des balivernes. Le copperhead c'est rien moins qu'un crotale avec le corps cuivré comme quelque chose qui serait de couleur cuivre et avec la tête aussi triangulaire que celle d'un putain de copperhead. Y'en a partout : dans les forêts, dans les failles des rochers, au bord des rivières et même dans les maisons d'où qu'c'est qu'ils aiment bien venir là où c'est pourtant pas chez eux. Pas que ce soit méchant comme bestiole, une morsure vous refile la chiasse et de la fièvre pendant deux semaines, même qu'un jour y'en a un qui m'a mordu au pied et qu'ça s'est infecté et qu'ma chaussette s'est collée à cause du pus et qu'j'ai dû jeter ma chaussette à la poubelle, mais disons qu'nous autres les Kwaller on aime pas trop jeter nos chaussettes à la poubelle.
Le Willy il avait pas son pareil pour les dégoter. Il soulevait une pierre, attrapait le copperhead par la queue et avant qu'l'autre ait pu piger d'où qu'ça lui venait, il se retrouvait à faire un tour complet dans les airs et à se faire éclater la tête sur la pierre. Si y'avait rien d'assez solide alentour, Willy attrapait le crotale au niveau de la tête et la lui arrachait avec les dents. Ca lui arrivait de s'faire mordre au visage et il se retrouvait avec la gueule boursouflée pendant quelques jours mais comme il avait pas besoin de ça pour être moche il s'en foutait autant que de choper la chiasse. Après ça il dépeçait la bestiole et faisait des ceintures avec la peau, qu'il revendait au marché. Tous les pantalons de Killtown tenaient grâce aux copperheads de Willy. Et il revendait aussi la viande parce qu'il faut bien manger.
Parfois il chopait d'autres types de serpents. Des plus gros, des plus dangereux, des plus rares. Ca nous faisait des ceintures plus belles mais pas forcément de la viande moins dégueulasse, c'est la vérité.
J'vais pas vous faire avaler des couleuvres, c'est pas mon métier, en vous jurant que l'Serpent jamais plus il avait commis de forfaitures. Il a bien buté un ou deux de ses frères pour pas perdre la main. Pis aussi il a continué à voler l'habitant, histoire de dire. Même qu'un jour en passant devant une maison il a vu la porte ouverte alors il est rentré et il a tout piqué dedans. Il était bien heureux c'jour là, ça oui, vu que ça lui remboursait exactement tout c'qu'il s'était fait voler le jour même à cause qu'il avait laissé sa porte ouverte. Mais c'qu'est certain c'est qu'il a été chasseur de serpents tout le restant de sa vie, soit trois ans vu qu'il est mort à vingt-cinq ans dans des circonstances difficilement racontables vu que j'les ai un peu oubliées.

Je crois que j'vous ai dit que Willy était moche comme un rat crevé resté au soleil ? Ouais j'vous l'ai dit, même que c'était tout à l'heure. Donc l'était moche, Willy Kwaller, du coup les filles le fuyaient et j'aurais fait pareil si j'avais été fille ou pédé. Mais j'suis ni l'une ni l'autre alors j'fais plus vous raconter qu'aut' chose. L'était à peine puceau vu que les animaux ça compte qu'à moitié et j'le soupçonne de s'être déjà branlé une ou deux fois. Mais les filles, c'était pas la même chanson, et la musique était différente aussi.
Pis un jour y'a eu la Olga. Olga Kwaller était la fille la plus belle de Killtown et même de Deadland qu'est le village d'à côté à cinq cent kilomètres près. Du coup elle était l'genre de fille qu'on fantasme mais qu'on lui cause pas. Alors l'premier gars qui l'a violée, et c'était Willy, elle en est tombée amoureuse. Mais faut dire qu'elle était sacrément con.
Elle est pas restée belle bien longtemps vu qu'Willy la cognait comme il avait toujours cogné tout l'monde. Pis d'façon à Killtown d'où que j'vous entretiens, y'a une loi qui interdit aux hommes de pas frapper sa bonne femme. C'est d'ailleurs bien la seule loi qu'il a respectée, le Serpent. A force d'aimer la Olga à coups d'poings dans la gueule, il a fini par la tuer. Et le lendemain au marché il vendait des porte-monnaie en peau de genou et la viande de serpent était meilleure qu'elle l'a jamais été. Ca, c'était cinq jours après qu'il a rencontré Olga Kwaller.

C'était ça sa vie, au Serpent. Sûr, qu'c'était ça.

Ah oui, pis un jour comme y'en a plein l'année à Killtown, il est venu chez moi. J'sais même pas pourquoi, il est venu. Enfin si, p't'être que j'sais pourquoi. Toujours est-il que j'y ai dit bonjour et que j'lui ai balancée une poudrée de mon tromblon dans sa gueule, c'est comme ça à Killtown, faut pas croire. Et juste après ça ben il est mort mais j'saurais plus vous dire pourquoi.
Si y'a une moralité là d'dans, j'veux bien que vous m'la fassiez entendre parce que moi je l'ai toujours pas trouvée pis j'm'en fous. C'que j'sais seulement c'est  que quand un vieillard raconte, c'est plutôt mieux de l'écouter dire, parce qu'il à toujours des trucs à causer, même s'il n'est plus sûr de tout.
Pour le moment, j'reprendrais bien un whisky sour, ou p't'être deux.
J'vous sers quequ'chose?

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17 décembre 2009 4 17 /12 /décembre /2009 00:01







J'm'en vais là vous narrer l'histoire qu'est pas banale, l'histoire de Willy Kwaller, qu'on appelait plus courument Willy le Serpent pour les raisons que j'vais vous dire pas plus tard que bientôt.
Willy avait né, y'a maintenant d'ça plus de trente ans au moment que j'vous parle, sur le trottoir de devant le bar de Sam Kwaller, qu'on appelait aussi Sam la Ferraille vu qu'il grinçait de partout quand il marchait à cause qu'on n'a jamais su pourquoi. Sa mère venait de se faire mettre une rafale par Jacky Kwaller, qu'on appelait Jacky parce que c'était son prénom. Faut savoir qu'elle était enceinte des neuf mois réglementaires, sa mère, alors le Jacky qui la secoue dans les ouatères, forcément ça lui a fait des contractions dans l'bas-ventre. Et ça faisait pas un mètre qu'elle était sortie du bar qu'elle a dégoupillé le gamin par terre. Willy s'est fracassé la tête sur le sol, vu que y'avait que ça à cet endroit là. Il était né avec deux dents sur le devant, qu'il a perdues alors qu'il était âgé d'à peine une seconde.
Pour ça, il a été moche toute sa vie, le Willy, pour sûr qu'il a été moche ! L'avait une gueule à faire avorter les mouches, faut dire que les chicots tout pétés, la face toute écrabouillée et d'autres tares du même acabit, ça a jamais été trop à la mode, même à Killtown d'où que j'vous entretiens.
Les filles lui disaient qué z'auraient préféré embrasser un cul de babouin syphilitique que d'l'embrasser lui, c'est vrai si j'mens pas ! Mais ça je vous en recauserai plus tard, vous verrez.

Pour l'heure, le Willy il a été élevé avec ses treize frères et sœurs. Enfin sûrement que dans l'tas y'avait des comme qui diraient cousins et cousines, vu que la Martha - c'est sa mère la Martha mais j'sais pas si j'vous l'avais déjà dit ? - y'a la moitié du village qui lui était passée dessus, et l'autre moitié dessous. Alors des fois, quand elle était trop pétée elle prenait un d'ses gosses pour faire les galipettes. Vrai comme j'vous l'dis ! Faut savoir que dans le village on s'appelait tous Kwaller, alors la Martha elle était pas plus dans l'anormalité qu'un autre. Même les quelques étrangers on les rebaptisait Kwaller, et ceux qui voulaient pas on les tuait d'une décharge de fusil dans la gueule, pour leur signifier leurs droits. Y'a aussi eu des noirs ou des mexicains mais eux, en plus on leur a mis des coups de barre à mine dans les genoux et on les a donné à bouffer aux cochons parce qu'on n'aime pas trop les noirs et les mexicains, à Killtown, mais on a jamais su pourquoi.
Patrick Kwaller, le mari de la Martha, il était mort y'a dix ans, dévoré par un ours. C'qui faut vous dire, c'est que chez nous autres les hivers sont rugueux, le froid pète la gueule aux orignals. L'été c'est l'inverse, la chaleur rend aveugle les vieillards, et dans la rivière les poissons transpirent sous les nageoires. Là, c'était un hiver méchant, le Patrick était parti chasser de l'écureuil avec sa pioche. Il a marché sur le pied d'un ours et au lieu de s'excuser, il l'a traité de pédé. L'autre il lui a décroché la mâchoire d'un coup de patte, bim ! Puis il l'a bouffé façon tartare, sûr qu'il a pas fait sa végétarienne effarouchée ! Mais sûrement qu'il a eu les yeux plus gros qu'le ventre parce qu'il a pas tout bouffé quand même, il a laissé le ceinturon en laiton. Alors nous autres on a mis le ceinturon dans une boîte en fer et on l'a enterrée au cimetière. J'crois que Patrick Kwaller peut se vanter d'avoir la plus petite tombe du cimetière de Killtown, sûr qu'il peut !

Bébé, Willy dormait dans la caisse des chiens vu que c'était le seul récipient d'encore disponible à c't'endroit. L'a grandi comme ça, entre la pisse des chiens, les gnons de ses frères et le vomi d'sa mère. Sûr que ça rend nerveux.
L'a toujours été bagarreur le Willy. L'avait peut-être qu'un seul bras, vu que l'autre il se l'était fait bouffer par les chiens, mais il cognait rudement efficace avec. Un jour à l'école il a arraché la langue d'un gamin qui lui causait mal, puis il l'a piétiné plus que de raison. Walcott Kwaller, Le Doc qu'on l'appelait vu qu'c'était ça qu'il était, avait pas réussi à sauver le gosse et il était mort pour cause de décès, mais faut dire que l'Serpent l'avait bien assaisonné. Faut vous dire d'autre que le Walcott Kwaller il était pas plus doc que moi je suis le peigneur de girafes, mais c'était le seul de Killtown qui possédait un costume alors on s'était dit que c'était dans la logique des habits que ce soit lui qui fasse office d'instruit.
Suite à cet évènement – j'en reviens au gamin qui s'était fait rouler une pelle avec les dents de Willy – la Martha a puni Willy pasqu'elle estimait qu'un gosse de cinq ans ne doit pas chahuter à l'école. Et elle l'a interdit de tuer d'autres gens pendant trois mois. Pis elle y a crevé un œil pour lui apprendre à s'taire quand y cause.

L'Serpent, il a passé comme ça son enfance à ramasser des coups ou à s'bouffer des mutilations. A huit ans il s'est endormi raide bourré, avec la clope au bec. Y dit qu'il a bien senti que ça lui brûlait la lèvre mais il a cru que c'était de l'herpès. Sauf que d'un coup, whouf, il a pris feu. Il a eu la gueule complètement cramée et Walcott Kwaller lui a fait une greffe de peau d'cul d'vache. Ca y fait un beau visage en cuir mais qui sent un peu la bouse quand même, faut bien dire les choses qui sont.
A douze ans il a perdu tous ses chicots de d'vant en bouffant des cailloux pas cuits. C'est qu'chez nous autres, les Kwaller, les hivers sont costauds, comme j'ai déjà dit. Les bons hivers on bouffe de la soupe de cailloux, et les mauvais hivers y'en a même pas assez pour tout l'monde.
A quinze ans il était en train de faire l'amour dans le pot d'échappement de la camionnette de Rudy Kwaller et le Rudy a fait une marche arrière ave le véhicule présenté ci-avant. En conséquence de quoi Willy a été circoncis de haut en bas, en plus de s'être fait aplatir un tibia. Faut croire qu'c'est pour ça qu'il marchait bancal, après.
A dix-sept ans il a bu huit litres d'essence et ça lui a dissout l'estomac, même qu'à cause de ça aujourd'hui quand il bouffe de la ferraille il la digère mal et il a des gaz. D'ailleurs il le reconnaît lui-même, il dit "J'ai arrêté d'bouffer des clés à molette, ça m'fait péter", c'qui prouve qu'il est pas si con.
Il avait vingt ans quand il s'est assis sur un barbecue des suites d'un pari perdu qu'on n'a jamais su ce que c'était. Et j'vous passe tous les plombs qu'il a pris en jouant au fusil avec ses frères ou les morsures qu'il a choppées en violant des chiens. Y'a pas à tortiller du fion pour faire parallèle, le Willy il est amoché de partout, qu'on dirait un brouillon de Picasso.



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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 16:17

RAPPEL HISTORIQUE


Il est des automnes qui ressemblent à s'y confondre à ceux des années d'avant, qui déjà eux-mêmes ressemblaient à encore d'autres d'encore avant. Ainsi en va-t-il de la valse des saisons.
L'automne 2009 n'échappera pas à la règle : il verra lui aussi rouiller les feuilles des arbres, tomber les jours fériés en plein week-end de la Pentecôte et nouveaubeaujoler le picrate. Mais aussi, mais surtout, Automne 2009 présentera son nouveau défi à Stipe.
Stipe, c'est le gars du blog, là.
Le défi en question, c'est le truc, vous savez, y'avait déjà eu "Le vent d'avril souffle en hiver", "Les hommes préfèrent les blondes" et sa variante, "Dans le square, les arbres sont couchés...", "Cette boîte était manifestement trop petite pour elle", "Elle s'ennuyait à crier" et sa version alternative ainsi que "Le soir, quand l'Italie est triste".
Ca y est, ça vous revient ? Les contraintes, la phrase de début et tout ce joyeux bordel enquiquinant ?

Bon ben alors go !



LES REGLES


Le texte doit impérativement commencer par la phrase suivante :
 
>>>                 « Bienvenue au club ».                 <<<


Vous prendrez grand soin de caser de façon plus ou moins outrecuidante TOUS les mots suivants, dans l'ordre qui vous chantera :
 
* Bouder
* Calot
* Cylindre
* Cyrillique
* Echappement
* Ensablé
* Glacière
* Muséum
* Pneumatique
* Reprise
* Valériane
 
 
Et puis, tant que nous y sommes, les expressions suivantes :
  
- Devoir une fière chandelle
- Faire d'une pierre deux coups
- Ça passe!
- Connaître la musique
- Cousu de fil blanc

On peut conjuguer les verbes, mettre les noms et adjectifs au pluriel, bien entendu.

Vous veillerez à inclure dans votre texte les  situations indiquées ci-dessous. Vous pouvez les mentionner brièvement ou vous y attarder. Hopla.
- Faire intervenir Jeanne Moreau.
- Insérer une recette de cuisine.



LE TEXTE


"Bienvenue au club des cinq, Paltocuche !".
C'est François qui m'avait accueilli de toutes ses belles dents fluorées en me tendant un verre de lait-fraise. J'avais regretté aussitôt d'avoir un jour envoyé mon CV à la mère Blyton. Je savais même pas pourquoi elle m'avait pris moi, j'avais quand même plus la gueule à cracher dans le calot qu'à réciter l'alphabet cyrillique en hébreu. Lors du casting y'a pas dû y avoir bousculage de portillon pour qu'elle prenne un vieux cradingue comme moi.  
Suite à la mort de Mick par overdose dans "Le club des cinq se drogue", elle avait passé une annonce dans le canard local : "Cherche garçon pour joyeuses aventures avec des fois du risque. Chapardeurs, scrogneugneux et arabes s'abstenir". Je venais de foirer mon entretien pour les Pieds Nickelés alors j'ai postulé sans trop y croire. Ma femme s'était barrée peu de temps avant parce que je cognais un peu les gosses, alors si je pouvais faire d'une pierre deux coups en me faisant du fric pour payer la pension et en décrochant un emploi stable, j'allais pas bouder mon plaisir. J'avais baratiné une histoire cousue de fil blanc et pipeauté sur mon âge. Fallait-il qu'elle ait le cerveau drôlement ensablé pour croire que j'avais quinze ans. "J'ai tout de suite vu que tu faisais un peu plus vieux que les autres !", qu'elle m'avait dit comme ça. Nan mais oh, stop la clope mémère ! Mollo sur la valériane dans la bergamote, tu commences à devenir incontinente du cerveau !
Elle m'avait aussi demandé si j'avais des références. Je m'étais retenu de répondre que j'avais fini deuxième à un concours de mollards pendant mon service militaire et lui avais seulement dit qu'un jour j'avais aidé Jeanne Moreau à traverser dans les passages cloutés. Elle s'était grattée le menton d'un air satisfait et m'avait dit que j'étais un bon gars. Plus c'est gros mieux ça passe, comme disait mon ami violeur. Elle m'avait fait signer un contrat à durée interminable avec période d'essai de deux épisodes.
Voilà comment je m'étais retrouvé embringué dans cette misère là.
 
Je leur devais une fière chandelle, à la vioque et aux gosses. Depuis mon échappement de prison j'avais cumulé les petits boulots, de videur de chats à peigneur de girafes en passant par chanteur de Mexico ou ressemeleur pour culs-de-jatte. Du coup, j'avais l'intention de bien paraître.
Pour mon premier jour de boulot j'avais mis des chaussettes propres et m'étais rasé. Et ce p'tit pédéraste de François m'avait souhaité la bienvenue.
"Ben alors, tu ne bois pas ton verre ? Peut-être préfères-tu un diabolo nature ?", qu'il m'avait demandé avec sa voix de scout pré-pubère. J'avais répondu avec ma voix de faux-derche appliqué que je venais de me brosser les dents alors tu comprends. La vérité c'est que le lait-fraise je le préfère avec de la vodka à la place du lait et du jus de tomate plutôt que de fraise.  
Il m'avait fait visiter le reste de la troupe.
"Ça c'est Annie, ma petite sœur. Elle est un peu coquine et est drôlement fortiche pour faire les cookies.
- Bonjour Paltocuche, je peux t'appeler Palto ?", qu'elle m'avait demandé.  
"Et moi, j'peux t'appeler P'tite Niaise ?" que j'avais pensé en devers de moi. Elle m'énervait déjà, la gamine.
"Bien sûr que tu peux, ça ne me dérange pas outre-mesure. Et moi, je peux t'appeler Annie ?
- Certainement. Dis, Palto, tu veux que je t'apprenne à faire les cookies ?"
C'est ça, et moi j'allais p't'être lui apprendre à cuisiner un mec qui veut pas parler. Tu vas voir, faut sensiblement les mêmes ingrédients : du sel pour mettre sur les plaies, le jus d'un citron pour les yeux et je conseille de le servir avec de l'huile bouillante pour se rincer le gosier. Tu laisses mariner le gugusse quelques heures, tu découpes les orteils en petits dés et tu enfournes tout ça thermostat max. P'tite niaise...
"Oh mais avec plaisir !! Je sens qu'on va se régaler !", j'avais hypocrité.
Y'a pas à dire, j'excellais dans la niaiserie. J'en aurais gerbé mon benco, tiens.
François m'avait tiré par la manche.
"Je te présente Claudine, notre cousine. On l'appelle Claude parce que c'est un vrai garçon manqué ! Elle a un caractère de cochon, qui s'y frotte s'y pique, ouille ouille ouille ! Mais elle est drôlement sympathique, tu verras."
Elle m'avait  tendu une main autoritaire que j'avais pris soin de secouer fermement, comme elle semblait aimer ça. Elle m'avait ensuite désigné le clebs assis à ses pieds.
"C'est Dagobert, qu'elle avait fait les présentations, c'est un bon compagnon. Il n'a pas son semblable pour dénicher les indices et pour nous sauver des vies."
Il avait l'air aussi tarte que le reste du groupe mais j'avais fait semblant d'aimer les bêtes qui foutent leur culotte à l'envers.  
Puis François m'avait désigné la glacière.  
"Ça c'est Mick, notre frère décédé de façon tragique. On l'emmène partout avec nous, faut juste penser à changer les bleus de temps en temps sinon après ça cocotte, dis donc ! Hi hi hi !"
Bande de tarés. Seigneur, quand t'auras 5 minutes tu prendras le temps d'exister et de leur pardonner leur bêtise.
 
Claude avait pris un air sérieux genre "revenons-en à nos affaires". Elle m'avait tendu un cylindre contenant un papier roulé.  
"Nous venons de recevoir ce pneumatique. Lisons le tous ensemble, à l'unisson, les amis !"
Ils devaient vraiment pas avoir conscience que j'avais déjà tué des oiseaux d'une seule main ou que j'avais trafiqué de l'alcool avec la mafia chinoise de Tourcoing. Nan parce que là... Enfin bon, faire bonne figure, c'est ce que j'avais entrepris.
" Monsieur Gentilhomme, le directeur du Muséum d'Histoire Ancienne et Pénible, a été estomaqué suite à la découverte d'un larcin en ses lieux. Le voilà fort marri, aussi il demande votre assistance afin de mettre le grappin sur le malfrat qui s'est rendu coupable de ce forfait. Hardi les amis !"
François avait froncé les sourcils, il semblait résolu.
"Je crois que nous voilà repartis pour de nouvelles aventures ! On n'aura qu'à dire que c'est "Le club des cinq et le nouveau". Taillo, taillo ! Sus au contrevenant !"
 
Et c'est comme ça qu'on est partis en vélo jusqu'au muséum du vieux sénile. La suite, on connaît la musique : on a fait deux équipes. Je me suis retrouvé avec Claude et son crétin de clebs, on devait aller prospecter du côté de la maison de l'ancien.
Et c'est de là que mes belles résolutions se sont envolées en éclat. Son clebs a commencé à sauter autour de moi en bavant et en jappant. Même pas il aboyait comme un chien, nan, il jappait comme une tarlouze. Quand il s'est frotté à ma jambe j'l'ai fait valdinguer dans le mur d'un coup d'pompe dans l'cul. La gosse a commencé à brailler que c'était pas des façons de procéder alors j'lui ai mis un coup de boule et je l'ai violée pendant qu'elle était pas encore froide.
J'ai même pas tenu jusqu'à la page sept.
J'ai été viré manu-militari, la mère Blyton a dit qu'elle était très colère et qu'elle se retenait de me tirer l'oreille. Puis elle m'a demandé de déguerpir avant que le rouge ne lui monte aux oreilles.
 
Rien à branler, demain je postule pour devenir le nouveau compagnon de Chapi. J'ai appris que Chapo s'était pendu après qu'il a appris qu'il avait le sida.  
Je mettrai du sent-bon derrière les oreilles et une chemise repassée.



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31 octobre 2009 6 31 /10 /octobre /2009 08:00
(ça c'était juste avant, et ça c'était tout au début)


- Un jour ils ont engagé un homme fort, un Hercule. D'ailleurs ils l'ont rebaptisé Hercule parce que c'était une tradition. Ce mec là tordait de l'acier, se sortait des chaînes dans lesquelles on le saucissonnait et soulevait des voitures si on le lui demandait. Il s'est vite opposé à Polly, c'était le seul à ne pas avoir peur d'elle. Le plus gros du monde lui a raconté pour le gosse et les hormones alors il s'est mis à vraiment la détester et à bien m'aimer moi. Mais c'était par sentiment en vrai, pas par pitié ou par connerie. Du coup la Polly s'en prenait à moi et c'était logique. Elle se montrait méchante, immonde, et moi je subissais connement puisque je faisais tout connement depuis des années. Jusqu'à cette fois...
On y arrive. Cette fois.
- Elle m'a dit un truc. Un truc que j'avais lu souvent sur le visage des badauds, que j'avais deviné quand ils me regardaient et surtout quand ils ne me regardaient pas. "Tu m'dégoûtes", elle m'a dit. Je me suis alors rendu compte que toute ma vie j'ai attendu de ne pas entendre ça. Je lui ai sauté dessus, par réflexe. Et j'ai commencé à la tabasser, lui tirer les cheveux, l'insulter. Hercule est intervenu, il m'a arrachée à elle et s'est mis à lui écrabouiller le visage entre ses mains. Puis le bouffeur de ferraille est arrivé aussi et il a commencé à la bouffer vivante, enfin je pense, vu comme y'en avait partout et comme elle braillait comme un poney qu'on égorge. C'était dégueulasse, fallait voir ça...
Non merci.
- Ses cris ont ameuté tout le monde, tu penses bien. Hercule m'a gueulé de me barrer et j'ai fait la seule chose que je savais bien faire depuis des années : j'ai pas réfléchi. Et je me suis barrée en courant. J'ai croisé les forains qui commençaient à accourir avec des fusils et des barres de fer. J'ai entendu les premiers coups de feu et des cris encore plus horribles alors je ne me suis pas retournée et j'ai couru encore plus vite et encore plus sans réfléchir. J'ai passé des barbelés et suis allée me cacher dans une étable, avec des vaches. J'ai attendu que les paysans partent aux champs le lendemain pour aller visiter un peu leur maison. J'ai pris seulement de quoi assurer ma fuite, j'étais pas là pour voler. Des vêtements, de quoi bouffer un peu et quelques billets dans la huche à pain vu que c'est toujours là qu'on range les affaires. Et puis j'ai aussi pris un rasoir, pour ne plus être la même. Je me suis rasée dans le rétro d'un tracteur et ça m'a permis de me rappeler que je ne me rappelais même plus mon visage, le vrai. Après j'ai fui par les champs et par la forêt, j'ai demandé où était la gare et on m'y a déposée gentiment. J'ai demandé un billet pour Paris car c'était l'évidence et je suis montée dans le train pour reprendre mon souffle.
- Et vous voilà ici...
- Non. Ça c'était y'a longtemps déjà. En arrivant à Paris j'ai zoné un peu avec les clochards autour de la gare. Y'en a un qui m'a dit qu'avec ma gueule ambiguë je trouverais facilement une clientèle, alors je suis allée dans ces quartiers où les types viennent pour pas faire l'amour à leur femme. Dans un premier temps, je leur demandais juste de quoi me payer une chambre pour la nuit et assez pour manger un peu parce que le corps a ses raisons. Je continuais à me raser mais pas trop car il fallait leur laisser de quoi fantasmer. De toute façon j'avais arrêté les hormones par obligation, et en plus de ne pas mourir j'avais remarqué que ma barbe avait tendance à pousser moins vite, même si ma peau conservait son teint de jeune homme. J'ai effectivement commencé à avoir une clientèle fiable, j'ai pu me payer une chambre de bonne et j'ai pas tardé à avoir suffisamment d'argent pour que mon activité ne soit plus vitale. Y'a une dame d'à côté, un genre de voisine, qui m'a montré à faire du tricot et de la couture et je me suis mise à faire des dépannages, comme on dit. J'ai acheté une machine à coudre et les gens du quartier m'amenaient des ourlets à faire, des pulls à raccommoder ou des chaussettes de bébé à tricoter. En conservant un peu ma clientèle d'hommes, j'ai ainsi pu vivre quelques années comme ça, en restant plus ou moins enfermée car de toutes manières j'avais perdu l'habitude de me mêler à la foule.
Et puis l'autre jour ça m'a pris, j'ai décidé de les revoir. Je me rappelle ces villages où on passait, et quand. J'ai repris le train et j'y suis allée. Je me doutais bien qu'il ne restait plus grand-chose de Polly vu l'état avancé dans lequel je l'avais quittée mais j'avais peur d'être reconnue par le patron. J'ai regardé de loin et de toute évidence ce n'était pas lui. Je sais pas s'il s'était fait briser la nuque par Hercule, bouffer le cerveau par le mangeur de ferraille ou s'il était en tôle pour avoir fusillé des monstres, mais l'affaire avait été reprise par un autre. Et à en croire les affiches et la devanture, y'a pas que lui qui avait changé. Par contre, y'en a un qui était toujours là. Et c'était l'attraction phare, la tête de gondole du rayon monstres horribles. Il était devenu un adulte, hein, et apparemment son père n'était plus de la partie. Alors je suis entrée dans mon entre-sort. J'ai vu des nouveaux, oui. Un nain, une femme-poulpe, d'autres trucs pas possibles comme ça. Et j'ai vu mon fils derrière la vitre. Il m'a regardée mais je ne sais pas s'il m'a vue. Son visage ne pouvait trahir aucune expression tant il était difforme et figé dans la douleur. Ses yeux ont dû me reconnaître, mais où est partie l'information ? Et puis de toute façon, j'étais de l'autre côté de la vitre. J'étais devenue son monstre, son différent. Et je me dis que je l'ai certainement dégoûté.
C'était hier, ça.
Alors est-ce que j'ai tué quelqu'un ? A vous de voir.

Elle se tut définitivement, je pense qu'elle avait fini son histoire. Je crois que je comprenais ce qu'elle suggérait, que parfois donner la vie est plus horrible que donner la mort, mais je suis même pas sûr de pouvoir préjuger de ça efficacement. C'était une sale histoire, y'a pas de mystère possible là-dessus. Moi j'en restais pas moins un privé, j'avais noté un tas de questions à lui poser mais j'étais pas sûr d'avoir envie d'entendre les réponses. Elle m'avait raconté tout ça comme pour cracher son gros morceau, mais sûrement pas pour faire une sorte de témoignage sous serment. Alors le reste, je m'en cognais pas mal. Professionnellement parlant on est toujours à la recherche d'histoires sordides, le sensationnalisme c'est notre adrénaline. Là j'avais été servi on peut dire, et pourtant le privé que j'étais avait vite lâché l'affaire.
Elle regardait au dehors, si tant est qu'on puisse parler de regard. Disons que ses yeux étaient dirigés vers le paysage qui défilait. On a gardé le silence encore une dizaine de minutes, jusqu'à l'arrivée en gare de Nevers. Elle s'est levée et est passée devant moi sans me voir ni entendre mon salut bon voyage. Elle s'est dirigée machinalement vers un autre train en direction de Paris et moi j'ai quitté la femme à barbe et la gare pour d'autres aventures, ou tout comme.

Je suis rentré sur Paris le lendemain mais c'est seulement le surlendemain que l'info est apparue dans le journal. Deux jours plus tôt une femme s'était suicidée sur la ligne Nevers-Paris. Elle avait attendue que le train passe sous un pont pour se jeter dans le vide. Son corps avait percuté le pilier à trop grande vitesse et il avait été retrouvé en deux fois, décapité. Elle avait fini par tuer un des monstres.
Alors ne loupez pas, prochainement dans votre village et en exclusivité mondiale, la siamoise à barbe sans tête.


Fin
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30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 08:00
(avant ça parlait de ça, mais tout au début ça ressemblait plutôt à ça)


- Polly c'est la fille qui a été engagée pour faire la femme-poney. Elle était pas bien grande mais trop pour faire la naine de service. Ou alors la naine la plus grande du monde, voyez l'genre ? Alors comme elle avait des cheveux longs qu'on aurait dit une crinière de cheval, ils l'ont mise dans un corps de poney empaillé ou tout comme. Juste la tête qui dépassait par le trou du cou, c'était très réussi faut dire.
Elle a rapidement eu les faveurs du patron, jusque dans son lit. Et elle s'est tout de suite imposée comme la nouvelle patronne. Ça ne l'empêchait pas de crapahuter avec les autres mâles du groupe mais la vérité c'est que personne ne pouvait la blairer. Tout le monde se méfiait d'elle. Trop au lit pour être honnête.
- Ou trop ponette pour être Polly...
- Si ça vous convient.
Quand elle est arrivée j'étais déjà enceinte de Elephant Man. Elle s'en est aperçue la première et elle a tout de suite pensé à l'intérêt qu'ils pourraient en tirer. Avec un peu de chance le gosse aurait les traits de son père, alors vous pensez ! Et puis la naissance d'un monstre en captivité c'est tellement rare... Avec un minimum de psychologie et un maximum de menaces, elle m'a convaincue de garder le gosse. Moi j'avais tendance à lui coller des beignes dans mon ventre, mais comme une mère. C'est-à-dire suffisamment fort pour décharger ma colère mais pas assez pour le tuer. Tout au plus il garderait des séquelles et naîtrait difforme. Et ça allait déranger qui, hein ?
Je pense que si j'avais été chrétien j'aurais dégobillé mon repas de communiant et tous ceux depuis. Je ne sais pas ce qui était le plus gerbant : qu'elle tente de s'en débarrasser ainsi ou qu'elle mène la grossesse à son terme ? C'est certain que je ne verrais plus les poneys de la même manière, p't'être bien même que maintenant j'aurais de vraies bonnes raisons de ne pas les aimer.
- Au final, je crois que ça me convenait plutôt bien, en fait. J'avais une excuse, aussi dégueulasse soit-elle, pour garder ce gosse. De toute façon, vu qu'on ne connaissait pas la maladie exacte du père, on pouvait craindre que le fœtus ne soit pas viable. Polly craignait surtout que le gosse n'ait aucune tare génétique. Vous imaginez l'horreur, un gosse normal !
Quand j'ai commencé à avoir trop de bide, ils m'ont demandé d'arrêter de faire la sœur siamoise. Ma comparse en a profité pour se tirer quelques temps après et elle m'a conseillé d'en faire autant. Mais enceinte jusqu'aux dents du fonds, je vois pas trop ce que je pouvais me barrer. Alors je suis restée, à tuer l'ennui encore pire que d'habitude.
Au septième mois, j'ai accouché dans l'herbe. Je sais pas si c'est la douleur ou la réalité de cette... bestiole, mais je me suis évanouie. Il tenait de son père, ça oui. On n'était même pas sûrs de pouvoir trouver la bouche pour le nourrir. On a dû attendre ses trois mois pour valider que ce qu'il avait entre les jambes était un sexe masculin et non pas une de ses excroissances. C'était un garçon et on l'a appelé Dumbo parce que c'est la logique qui parle dans ces moments là.
C'est principalement Polly qui s'en occupait. Moi je le considérais pas comme mon enfant, j'étais juste comme une intermédiaire de recrutement. En fait j'étais avec lui le week-end, quand Polly faisait le poney et moi rien. J'avais souvent des nausées et des douleurs dans le ventre depuis mon accouchement. Ils m'avaient filé des cachetons et fait boire des trucs mais ça changeait rien, c'était même plutôt pire. Un jour que j'ai demandé ce qu'ils pensaient faire de moi et s'ils allaient me retrouver une demi-sœur siamoise, ils m'ont dit de patienter un peu et que j'allais pas tarder à comprendre.
C'est le bouffeur de ferraille qui m'en a parlé le premier. Il m'a dit texto qu'il avait l'impression que je muais, depuis l'accouchement. Il a pas dit que je changeais, j'me rappelle qu'il a bien dit que je muais. Et il avait raison ce con là, j'ai bien été obligée de constater que mon corps changeait, ma voix aussi et...
- Et vous commenciez à avoir de la barbe...
- Bien vu Columbo. Le truc c'est que je savais pas pourquoi, je croyais que je vieillissais à cause de la grossesse ou que Dumbo m'avait collé des saloperies dans le corps qui me transformaient moi aussi en monstre. Puis un jour Polly m'a dit la vérité, parce que ça la démangeait sûrement de voir la gueule que je tirerais en l'apprenant. Elle m'a avoué que le patron et elle m'avaient fait avaler des tas de machins, des stérones j'sais pas quoi, des hormones mâles si vous préférez. Ces salauds là avaient envie de se payer une femme à barbe alors ils m'ont transformée en mec ! Notez, c'était plutôt pas con, ils prenaient peu de risques. Ils savaient bien qu'une fois que j'aurais subi les mutations j'allais pas me barrer alors que plus que jamais ma place était ici.
Le pire de tout ça, c'est que j'étais tellement malade à cause des hormones qui travaillaient et aussi tellement déprimée par tout ce qui m'arrivait depuis quelques mois, que j'ai même pas réussi à trouver la force de les haïr. C'est comme si en entrant chez eux j'avais signé un pacte avec le diable et que je m'engageais à accepter toutes les ignominies. Surtout les ignominies.
Je suis restée en transformation assez longtemps, plusieurs mois. Le gosse grandissait aussi de son côté, ce n'était plus le chétif prématuré des débuts mais déjà un beau spécimen d'horreur boursoufflée. Il était immonde, et j'étais pas la seule à le penser puisqu'ils l'ont rapidement foutu derrière la vitrine avec son père. La famille Difforme, comme c'est mignon !
Et pendant que le gosse avait son premier job, moi j'étais prête à reprendre le boulot aussi. J'avais une barbe satisfaisante, j'avais pris quatre pointures de pied, j'avais les bras plus musclés et poilus, bref j'étais devenue la femme à barbe. Et ma reconversion pouvait commencer.
Ça doit vous paraître fou, hein ? Que je me sois autant laissée embarquer là dedans, jusqu'au bout de l'innommable ?
Un peu que ça me paraissait taré au plus haut point ! Mais j'allais lui dire quoi ? Qu'elle aurait dû prendre la fuite et qu'elles reprennent une vie normale, elle et sa barbe ?
Paradoxalement, le seul endroit où elle était dans son élément c'était chez les bizarroïdes, chez les erreurs, chez ceux qui n'ont rien à foutre sur la Terre mais qu'on a quand même envie d'aller regarder. Je crois qu'en effet, elle aurait mieux fait de tuer le gosse.


- Femme à barbe, faut pas croire que c'est qu'un métier. Sœur siamoise ça l'était, femme-poney aussi. Mais femme à barbe c'est un sacerdoce. Vous pouvez être femme-n'importe quoi que ce sera jamais pire, car vous ne serez jamais vraiment une femme. Polly on la voyait comme un poney. Elle n'avait pas de seins, pas de jambes, c'était pas une femme, mais un poney mal fini. Moi j'étais une femme avant tout, sauf que j'avais des poils et des trucs de mecs. Tout ce que j'étais et avais en moi était humain, vous comprenez ? J'étais humaine à 100%, à 200% même. C'est malin de constater qu'il m'a fallu ça pour comprendre les autres, les vrais, pas les trafiqués. Il a fallu que je devienne l'un d'eux pour concevoir que c'était peut-être plus raisonnable de vivre caché plutôt qu'exposé ...
Je devais continuer à prendre des hormones, ils m'avaient dit que je devais en prendre à vie sinon je risquais de mourir. Ça n'a pas arrangé ma santé, surtout mentale. J'ai ainsi été femme à barbe déprimée pendant des années. La troupe continuait à vivre au gré des arrivées, des départs, des retours de certains qui en étaient arrivés à la même conclusion que moi : leur vie était ici.
Le gosse grandissait de partout mais c'était peut-être lui le plus heureux de tous, vu qu'ayant toujours vécu au milieu des différents. Lui ses différents il les voyait le week-end, de l'autre côté de la vitre. Même que j'ai commencé à le considérer comme mon gosse.
Elle marqua une pause. J'en avais bien besoin. Je savais que c'était pas rigolo de se moquer de ces gens là, parce que j'avais eu une éducation. Je me rendais bien compte que la pitié était certes inutile mais pas usurpée, et que les seules cages dans lesquelles ils étaient enfermés étaient celles qu'on leur bâtissait avec les barreaux de nos regards. Ils étaient différents et c'est ce qui les rendait finalement humains.
Merde, tiens ! V'là que j'me mettais à y mettre de la profondeur.


A suivre...
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29 octobre 2009 4 29 /10 /octobre /2009 08:00
(juste avant y'a eu ça, mais ça a commencé ici)


Je me rappelais en effet avoir été un gosse avide de ça, de cette magie là. J'ai le souvenir d'avoir envié les enfants de forains qui me semblaient doués en tout, plus beaux que n'importe lequel d'entre les ploucs, et qui vivaient dans un monde d'amusement. J'ai été ce gosse passionné là... Elle ne mentait pas.
- Aussi, pour garder le secret jusqu'au week-end et ne pas nous dévoiler sous une apparence normale, nous devions rester confinés dans nos caravanes. Dans notre cas précis, l'isolement avait aussi pour but de préserver le mystère qui planait sur nous et de l'entretenir jusqu'au moment où il faudrait payer pour avoir accès au surréel, l'instant magique et tant espéré où les animaux sortiraient de leur cage.
Les plus téméraires se risquaient à venir épier aux fenêtres, certains attendaient la tombée de la nuit, plus propice selon eux au dévoilement. Ils repartaient toujours frustrés, mais l'imaginaire nourri par ce confinement. Et nous, nous passions notre à temps à le tuer dans nos caravanes aux rideaux tirés.
La promiscuité et la mise en quarantaine provoquent des sentiments et des agissements les plus extrêmes. Un jour des gens seront payés à être filmés pour le prouver, et vous verrez que je raconte pas de craques. L'emmerdement génère le rapprochement, donc l'amour, donc la jalousie, donc la haine, donc le comportement grégaire. Je vous le dis, les vraies horreurs, c'est la semaine qu'il fallait venir les voir, pas le week-end. Les monstres sont ceux qu'on cache, pas ceux qu'on expose.
Moi qui pensais que c'était le genre de vie passionnante, on était loin du compte. D'après ce qu'elle me disait là, ça avait l'air chiant de s'ennuyer...
- Parfois des têtes changeaient. Quand l'homme le plus gros du monde est mort, il a été remplacé au pied levé par l'homme le plus gros du monde qu'on avait sous la main. Le business était prospère pour le patron. Pour nous ça changeait pas grand-chose, notez bien, on vivait dans un espace toujours aussi exigu. La différence c'est que plus les affaires étaient florissantes plus nous étions nombreux et donc plus notre espace vital se réduisait. En volume, c'est pas l'embauche de l'homme-squelette qui a compliqué la chose, c'est vrai. Lui c'était un vrai phénomène, le type le plus maigre que j'aie jamais vu. Faut dire qu'il était facile de ne pas le voir. Je sais pas où ils l'avaient dégoté mais ils avaient tapé juste. Paraît que des gens se présentaient spontanément pour faire partie de la troupe. C'est comme ça qu'on a eu Elephant Man, mais c'est vrai qu'on s'est pas cassés la nénette pour lui trouver ce surnom. C'était un type rongé par je ne sais quelle maladie à la con et qui était difforme de la tête aux pattes. Pour lui ça a été une véritable aubaine de se retrouver parmi nous, et il n'a pas trop souffert de l'enfermement vu que c'était le lot que lui avaient réservé ses parents depuis que sa mère avait mis bas, qu'il nous a dit tel quel.
Je vous ai dit que j'avais couché avec quasi tous ?
Ben j'ai couché avec quasi tous. Et même avec lui. Pas par amour, il était laid comme un troupeau de poux et avait le QI qui tenait plus du mollusque que du pachyderme. Non, lui c'était par curiosité, par expérience scientifique même. J'étais passée de l'autre côté de la barrière et avait endossé à mon tour le rôle de voyeuse.

Elle sautait du coq à trois pattes à l'âne palmé aussi facilement qu'un anorexique saute un repas. Je voyais de moins en moins où elle m'embarquait et ça me désobligeait dans mon amour pas si propre. Moi qui me suis toujours considéré comme un accoucheur d'âme, une sage-femme du sentiment, j'avais l'impression d'avoir affaire à une grossesse gazeuse et j'avais bien peur que ses contractions n'amènent qu'à la naissance d'un énorme vent.
J'avais d'abord eu la certitude qu'elle avait des saloperies à avouer. Mais les saloperies elle les avait surtout vécues. Elle avait peut-être juste besoin de les raconter au premier con venu. Et c'est un rôle dans lequel j'aurais pu postuler au titre de meilleur interprète.
Je suis un habitué des confidences faites avec le regard dans le vide, les gens se livrent à moi comme à un psy. La différence notable c'est qu'ils le font assis sur une chaise défoncée plutôt qu'allongés sur un divan. L'autre différence c'est qu'ils en ressortent souvent coupables plus que guéris. Remarquez, vu qu'ils repartent souvent allégés d'un énorme poids c'est un peu comme si j'étais un diététicien de la conscience.
J'avais affaire à une femme volage, c'est elle-même qui l'avait avoué. Mais que je sache, ce n'est pas considéré comme un délit, sauf dans certains pays archaïques ou dans d'autres états américains mais ça c'est une autre polémique et j'ai des horaires à respecter. A moins de retrouver Elephant Man et toute sa joyeuse clique et de les convaincre de râler pour mieux les faire cracher à mon bassinet, je n'avais aucun client pour payer mes honoraires ferroviaires, et j'allais devoir mettre le voyage sur le compte d'une épouse en fuite pour espérer faire passer mon billet de train en note de frais.
D'ailleurs on approchait salement de Nevers et j'allais pas tarder à laisser repartir dans la nature mon assassin idéal, mais pas tant que ça. Pour prolonger notre discussion je n'avais plus qu'à espérer un impromptu, prier pour une panne de caténaire. Paraît que ça se fait, à la SNCF.

- Vous descendez à Nevers ?
- Oui mais j'ai une correspondance.
Et moi un rendez-vous.
J'avais besoin de savoir où elle voulait en venir, pourquoi elle avait ce besoin de romancer. Fallait que j'abatte ma dernière carte. Enfin, celle d'un jeu de sept familles, à la limite...

- Et vous n'avez jamais eu l'envie de tuer un de ces monstres ?
- Vous êtes flic ? Ou un truc du genre ?
- Un truc du genre, plutôt. Je n'ai jamais eu cette malchance mais on ne sait jamais ce que la vie vous réserve comme mauvais coup. Disons que j'en ai le foie mais pas la foi.
- Je m'en doutais.
- Que je suis spirituel ?
- Que vous étiez un genre de flic, je m'en doutais. Vous écoutez trop poliment ce que je dis pour ne pas en être un...
Ça va être de ma faute, maintenant...
- Oui et non. Ou pas encore. Ou alors pas le bon. Non et oui, quoi.
Bordel, c'est quoi ce charabia ?
- Plaît-il ?
- Je veux dire par là qu'on se tue tous plus ou moins, à petit feu.
Ah ok, tout ça pour ça ! N'empêche que ça reste du salamalec pour m'embrouiller, ça.
- Vous m'éclairez ?
- Merci.
- De rien. Et sinon, ça vous dirait pas de m'expliquer un peu ?
- J'allais y venir, si vous me laissiez parler un peu.
Alors ça c'est fort de Cayenne ! Elle arrête pas de monologuer et dès que j'essaie d'en placer une elle me coupe la...
- J'ai, enfin "on" a tué Polly. Mais celui que j'aurais dû tuer c'est mon fils.
C'est chiant ces compartiments non-fumeurs, parce que là je me serais bien grillé une ou deux cartouches.
- Polly ? Votre fils ?
J'vous avais prévenus, j'ai de la répartie.


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28 octobre 2009 3 28 /10 /octobre /2009 08:00
(ça a commencé ici)


Objectivement, non. Objectivement je m'en cognais les oreilles sur le rebord de la baignoire avec une pelle à neige. Mais professionnellement, ça ne se refuse pas. Le CV est convaincant, écoutons la lettre de motivation.
- Je vous écoute. Mais si on pouvait éviter les mensurations du bébé à la naissance, les premières dents, le premier vélo et en venir directement aux faits...
C'est vrai, quoi ! J'aime pas être gavé avant le dessert.
- Je me suis barrée de chez mes parents à 17 ans. Pas que j'en avais envie ou besoin. Je n'étais pas plus malheureuse qu'une autre, j'ai eu l'enfance normale d'une fille maltraitée : mon père me violait pour s'excuser de m'avoir cognée.
L'ado battue et violée par son père et qui se barre de chez ses parents, classique trajectoire de la fille qui finit pute et junkie. Ou femme à barbe, le cas échéant...
- J'étais juste en âge de fuguer et d'aller voir à quoi ça ressemble ailleurs, c'était la normalité. Je suis allée me planquer quelques temps à la campagne, chez une amie de collège. J'ai trouvé un job de serveuse dans le seul bistro du bled. Chaque jour quand le patron collait la une du journal local sur la porte, j'avais peur d'y lire un avis de recherche avec une photo de ma tronche. Crainte inutile, j'avais sept frères et sœurs et mes parents n'ont jamais été fortiches pour le recensement familial. De toute façon, je doute qu'ils aient un jour découvert qu'ils avaient une deuxième main leur permettant de compter jusqu'à plus de cinq.
- Vous êtes sûre que j'ai besoin de savoir tout ça ?
- Pas sûre, non, mais je vous le raconte quand même.
J'ai été dépucelée une seconde fois, par le frère de ma copine. Ça aussi c'était de mon âge. De temps en temps il m'offrait des cadeaux ou me donnait de l'argent pour m'acheter des robes au marché, et chaque fois je m'offrais à lui en retour. Ce n'était pas vraiment de la prostitution puisque de toute façon je l'aurais fait, ce garçon me plaisait. Mais c'était le moyen pour lui de garder ses distances et de ne pas me considérer comme sa régulière.
Ses potes me plaisaient un peu moins et ne m'offraient rien, eux. J'avais pas de raison valable pour coucher avec eux et pourtant ils me considéraient... comme une pute. Marrant, non ?
- Très. Ça me rappelle la blague de la prostituée qui trouve un préservatif dans un ascenseur. Vous la connaissez ?
- Oui. Les parents de ma copine n'ont jamais cherché à savoir pourquoi j'étais partie de chez moi. Je leur donnais de l'argent par principe, histoire de garder moi aussi mon indépendance.
La suite, on pouvait parier dessus : elle en a eu marre de se faire pincer les fesses par les alcoolos du bar, alors le jour où y'en a un qui s'est retrouvé seul avec elle et qui s'est montré un peu trop entreprenant, ben elle lui a cassé une bouteille sur la tête. Le gars a saigné comme un cochon et l'a traitée de salope avant de mourir, parce qu'il faut bien dire quelque chose. Puis elle a encore pris la fuite, s'est laissée pousser la barbe et, euh... Mouais, le mieux c'était encore de la laisser finir son histoire.
- Un jour, la fête foraine s'est installée sur la place du pays. Avec ma copine on a passé notre temps à zoner l'endroit, à draguer les éphémères. On est allées à cet entre-sort pour oublier que finalement on s'emmerdait. Le patron nous a laissées entrer gratuitement, en échange on devait seulement repasser le soir à la fermeture. J'avais l'habitude de devoir coucher pour avoir des trucs à l'œil donc on a promis de revenir le soir et on est entrées. On s'est marrées devant tout ce grotesque, devant ces faux monstres fabriqués de toute pièce pour satisfaire le besoin de sensationnel du badaud.
Quand tous les flonflons ont eu éteint leurs klaxons, on est retournées voir le patron. En fait il voulait même pas coucher avec nous, il voulait nous parler. Il nous a expliqué qu'il recherchait une jeune fille pour remplacer une des sœurs siamoises vu qu'elle s'était disputée avec sa moitié. Bien sûr, ma copine avait autant de bonnes raisons de refuser que moi d'accepter. Donc elle a refusé. Et moi j'ai accepté. J'ai fait mon baluchon et suis partie avec les forains dès le lendemain...

Pour la première fois depuis ma rencontre avec ses pieds, elle paraissait moins assurée. La nostalgie y était sûrement pour beaucoup, on ne parvient jamais à parler du bon vieux temps sans aller perdre son regard dans le vide, comme pour mieux se faire défiler les diapos devant les yeux. Je sentais bien qu'on était partis pour une longue histoire avec des beaux moments, des moins beaux, des malheurs, de l'amour, de la trahison, peut-être du sexe, je dis pas non.
Je dois avouer que je suis pas friand des confidences compartimentalistes, passez-moi l'expression. J'ai une réputation de solitaire à faire valoir, elle est marrante elle ! Mais je suis un pro, et je savais que les confidences sont la base du succès. C'est parce qu'on les écoute que les gens parlent, pas l'inverse.
- ... et malgré ça je me faisais plutôt bien à cette nouvelle vie.
Mince, je parle trop, j'ai raté un bout.
- Faut savoir que parmi tous ces monstres, parce qu'on en porte le titre honorifique, y'a pas que du trafiqué. La femme araignée en était une, de bricolée. Elle faisait dépasser sa tête dans un décor réaliste et arachnomachin. L'illusion était bonne. Les sœurs siamoises c'en était aussi du bidon. Avec ma comparse on se vêtait d'une grande robe de laquelle on ne laissait émerger que nos deux têtes, un bras et une jambe chacune, et hop on était crédibles.
Mais le géant, l'homme le plus gros du monde, l'homme-tronc, le mangeur de ferraille, tous ceux là étaient vrais. Tout au plus on exagérait leurs mensurations pour les uns, on insistait sur le caractère exceptionnel pour les autres. Le géant affichait trente bons centimètres de plus que ses vrais deux mètres, l'homme le plus gros du monde ne pesait pas plus de cent soixante dix kilos. Mais derrière une vitre légèrement grossissante et dans des vêtements trop petits pour lui on pouvait y croire. L'homme-tronc était réellement cul-de-jatte, ça existe. Il cachait ses bras dans sa chemise et il n'était plus un simple handicapé mais un phénomène flippant. Le mangeur de ferraille y parvenait, à en bouffer, même s'il se nourrissait allégrement comme un omnivore. Juste qu'il avait un estomac lui permettant d'avaler une télé, avec la télécommande plus tard.
Tous autant qu'on était, on n'avait pas vraiment l'impression d'être des monstres, même une fois exposés derrière une vitrine et avec des gens qui vous regardent horrifiés, dégoûtés ou amusés. On ne se considérait pas comme des trucs horribles, non. Tout au plus des intrus. Mais ce qui donnait réellement l'impression d'être des phénomènes et des curiosités c'était surtout le fait de devoir rester cachés toute la semaine.
Vous savez, à l'époque lorsque la fête foraine s'installait dans un village, c'était l'événement de l'année.
- C'était dans l'temps, comme vous dites. Aujourd'hui ils sont plutôt reçus à coups de jets de pierres et de crachats, mais ça c'est sûrement une autre discussion.
- Sûrement, mais au temps que j'vous parle on était accueillis comme des messies. Toute la semaine, pendant que les forains s'installaient et montaient leurs attractions, les gens nous apportaient des paniers de légumes, des poules (sûrement pour  nous éviter qu'on aille se servir nous-mêmes), on nous payait à boire et on nous donnait du courant. Les hommes venaient proposer leur aide et les enfants venaient sitôt l'école finie pour voir l'envers du décor. Et notre camion sur lequel étaient peints les monstres suscitait toutes leurs convoitises.


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